« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Variations sur le Carnaval de Venise


 

 

Carnaval

 

 

Venise pour le bal s’habille.

De paillettes tout étoilé,

Scintille, fourmille et baille

Le carnaval bariolé.

 

Arlequin, nègre par son masque,

Serpent par mille couleurs,

Rosse d’une note fantasque

Cassandre son souffre-douleurs.

 

Battant l’aile avec sa manche

Comme un pingouin sur un écueil,

Le blanc Pierrot, par une blanche,

Passe la tête et cligne de l’œil.

 

La Docteur bolonais rabâche

Avec la basse aux sons traînés ;

Polichinelle qui se fâche,

Se trouve une croche pour nez.

 

Heurtant Trivelin qui se mouche

Avec un trille extravagant,

À Colombine Scaramouche

Rend son éventail ou son gant.

 

Sur une cadence se glisse

Un domino ne laissant voir

Qu’un malin regard en coulisse

Aux paupières de satin noir.

 

Ah ! fine barbe de dentelle,

Que fait voler un souffle pur,

Cet arpège m’a dit : C’est elle !

Malgré tes réseaux, j’en suis sûr,

 

Et j’ai reconnu, rose et fraîche,

Sous l’affreux profil de carton,

Sa lèvre au fin duvet de pêche,

Et la mouche de son menton.

 Théophile Gautier / Émaux et Camées