« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA BLESSURE ET LA MORT


 

 

A cinq heures de l’après-midi.

Il était juste cinq heures de l’après-midi.

Un enfant apporta le drap blanc

à cinq heures de l’après-midi.

Une couffe de chaux toute prête

à cinq heures de l’après-midi.

Le reste était mort et rien que mort

à cinq heures de l’après-midi.

 

Le vent emporta les cotons

à cinq heures de l’après-midi.

Et l’oxyde sema cristal et nickel

à cinq heures de l’après-midi.

Luttent la colombe et le léopard

à cinq heures de l’après-midi.

Une cuisse avec une corne désolée

à cinq heures de l’après-midi.

Le bourdon se mit à sonner

à cinq heures de l’après-midi.

Cloches d’arsenic et fumée

à cinq heures de l’après-midi.

Au coin des rues, groupes de silence

à cinq heures de l’après-midi.

Et le taureau avec son cœur debout !

à cinq heures de l’après-midi.

Quand vint la sueur de neige

à cinq heures de l’après-midi.

quand la plaza se couvrit d’iode

à cinq heures de l’après-midi.

la mort mit des œufs dans la blessure

à cinq heures de l’après-midi.

A cinq heures de l’après-midi.

A cinq heures juste de l’après-midi.

 

Un cercueil sur roues sert de lit

à cinq heures de l’après-midi.

Ossements et flûtes sonnent à son oreille

à cinq heures de l’après-midi.

Déjà dans son front mugissait le taureau

à cinq heures de l’après-midi.

La chambre s’irisait d’agonie

à cinq heures de l’après-midi.

Au loin vient la gangrène

à cinq heures de l’après-midi.

Trompe d’iris dans l’aine verte

à cinq heures de l’après-midi.

Les plaies brûlaient comme des soleils

à cinq heures de l’après-midi.

et la foule brisait les fenêtres

à cinq heures de l’après-midi.

Ah ! terribles cinq heures de l’après-midi !

Il était cinq heures à toutes les horloges !

Il était cinq heures d’ombre de l’après-midi !

Federico García Lorca / Chant funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías
traduction de Pierre Darmangeat