« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

GIGOLO


 

 

Bon tic-tac, je vais bien.

Les rues sont des crevasses lézardées

À pic, avec des trous pour se cacher.

Le mieux pour se voir, c’est un cul-de-sac,

 

Un palais de velours

Avec des croisées de miroirs,

Où se sentir à l’abri,

Sans photos de famille,

 

Sans anneaux dans le nez, sans cris.

Hameçons brillants, les sourires des femmes

Béent à mes appâts

Et moi, roulant mes noirs rupins

 

Je broie des seins gluants comme des poulpes.

C’est pour nourrir

Les violons des langueurs que j’engloutis de l’œuf —

De l’œuf et du poisson, mol régal,

 

Mollusque aphrodisiaque.

ma bouche arque

Sa moue de Christ

Quand ma machine arrive à bout.

 

Avec le cliquetis de mes

Joints d’or, mon art

De changer les femelles en remous d’argent

Déroule un tapis, en silence.

 

Et ça n’aura jamais, jamais de fin.

Je ne vieillirai pas. D’autres huîtres

Crient dans la mer et je luis

Mirant comme un Fontainebleau

 

Ébloui,

Tout un œil aux jets d’eau

Dur lequel, tendre moi,

Je m’incline et me vois.

Sylvia Plath / Arbres d’hiver
traduction de Françoise Morvan et Valérie Rouzeau