« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le deuil de la beauté


 

 

1.

 

le saviez-vous ?

la beauté a disparu !

quoi ? que dis-tu ?

savez-vous que la beauté est morte ?

mais qu’est-ce que tu dis ?

savez-vous que la beauté est anéantie ?

c’st impossible !

c’est comme ça !

la beauté est morte et enterrée !

 

dans ce monde à présent

sous nos yeux

sous les cieux

s’étalent les publicités

elles s’insinuent partout

à chaque minute à chaque seconde

l’ordinateur à peine allumé

impossible d’arrêter

ces publicités

 

et tout n’est plus que tapage politique

disputes entre partis campagnes électorales

tout est people et inonde ce monde

la vulgarité rivalise avec le kitsch

 

seule la beauté tabou suprême

disparaît en silence

elle est partie sans laisser de trace

 

cette sale besogne

qui l’a faite ?

Nul ne le sait

comment cette folie a-t-elle été commise

en plein jour

c’est ainsi

la beauté a été étranglée

anéantie achevée

 

chagrin inconsolable

détresse irrépressible

à qui se confier ?

tous restent indifférents

on est aveugle

introuvable est l’assassin

sous les regards de la foule

en plein jour la beauté a disparu

tandis que dans ce monde l’indigence spirituelle se répand

 

ce monde humain est de plus en plus bruyant

mais le cœur des hommes est désert

tout est vide autour de toi

on ne dit rien

auraient-ils perdu leur sensibilité ?

comment peuvent-ils supporter cela ?

vaine question !

 

la rue est pleine de passants affairés

tu te sens si seul

tu te rapproches pour les regarder

visage après visage

tous regardent sans voir

écoutent sans entendre

 

incapables de contempler la pluie

encore moins d’écouter leur cœur

alors subitement tu réalises

que totalement

du cœur des hommes la beauté s’en est allée

quelle horreur !

 

tu as envie de pleurer

mais tes yeux sont secs

tu voudrais t‘épancher

mais avec qui ?

personne ne peut comprendre cette tristesse

aussi profonde que lourde

Gao Xingjian / Le deuil de la beauté (extrait)
traduit du chinois par Noël Dutrait