« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

MÉGOT À LA BOUCHE DES CHEMINÉES


 

 

Je progresse vers le moins.

Le bail avec notre naissance expire un jour.

Tant qu’elle vécut notre mère l’a renouvelé,

nous habillant comme des enfants jusque dans son

    regard,

voués par elle à l’immuable.

 

Peu à peu je vide ce que j’ai pu — des chiffons.

Pour m’en aller plus légère. Je déchire

le calendrier où s’inscrivait l’issue,

à quoi bon trimballer des pierres ?

Malles pleines de haut-parleurs, brevets de pirate de l’air

petits cadeaux qu’on échange avec son plus cher

    mensonge

— ce qu’on donne est donné

qui le reprend meurt dans l’année —

vaisselle dans le buffet

des douzaines de piles d’invités

tant pour la viande et tant pour le dessert

pour le thé le café le cafard.

 

Je ne dois garder qu’une ou deux lettres certifiant

— mon départ doit gagner sa croûte —

que je sais pouponner l’inefficacité

accompagner les oublis vieillards sur les bancs

les places et les points-limite, où précisément

viennent les cars-tunnels

déverser les enfants des écoles.

Que je travaillais volontiers aux côtés de l’aquarelle.

 

Ma préférence évidemment sera d’embarquer

comme soutier du souvenir

et devenir le temps très lent des bateaux du fleuve

quand nous contemplions leurs parlotes

sous des ponts mordus, rongés

que le brouillard jetait sur les rives.

 

Je suis prête ? Je serre bien ma frousse, que ma décision

ne déborde pas de mots elle aussi.

Je me décroche de mon courage.

Le clou peut bien rester — petite miette

nourrissant ma trace.

 

J’ai tout pris ? Rendu le mètre-ruban ?

Toutes les choses que j’aimais, m’ont-elles rendu ce

    tant d’amour ?

Celles que je n’ai pas comprises

dans quel pardon que je ne donne pas tiendront-elles ?

 

Je dois jeter un coup d’œil récolteur

d’indispensables impardonnables par moi égaré.

Enfin ! Ce que j’ai oublié de vivre

je l’offre à la négligence d’un autre.

Je ne peux tout soulever d’une main.

L’autre tu l’as gardée comme souvenir.

De l’instant où tu l’as éternellement lâchée.

Kiki Dimoula / Je te salue Jamais
traduit du grec par Michel Volkovitch