« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Vénus à son tour fait ainsi l'éloge de la jeune fille


 

 

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Vénus à son tour fait ainsi l'éloge de la jeune fille :

« O vierge que j'admire et qu'adorera ton époux, Brunehaut, plus brillante que la lampe du ciel, et dont la figure lance plus de feux que les pierres précieuses, tu es une autre Vénus, et tu as pour dot l'empire de la beauté. Il n'est point de Néréide nageant dans la mer d'Ibérie, aux sources de l'Océan, qui puisse t'être comparée, point de Napée qui soit plus belle que toi. Devant toi s'inclinent les nymphes des fleuves. Tu as un teint de lait que relève la couleur de l'incarnat; le lys mêlé à la rose et l'or à la pourpre, luttant à qui se surpasserait en beauté, ne parviendraient même pas à t'égaler. Le saphir, le diamant, le cristal, l'émeraude, le jaspe, tous te cèdent la palme. L'Espagne a produit une perle nouvelle digne de subjuguer un roi. Conduite par un grand seigneur à travers des montagnes couvertes de neige, et des populations féroces, pour entrer à titre de reine dans la couche royale, tu marchais comme sur une route sans obstacles. Les amants que Dieu veut unir n'en connaissent point en effet. Terre de Germanie, eût-on jamais pensé qu'il naîtrait pour toi en Espagne une souveraine qui, par son mariage, rattacherait l'un à l'autre ces deux opulents royaumes? Un événement aussi admirable ne pouvait être l'œuvre des hommes ; aux entreprises difficiles il faut la main de Dieu. C'est à peine si dans une longue suite d'années aucun prince eut un pareil succès. Les plus grandes choses ne sont le prix que des plus pénibles efforts. Fille d'Athanagilde, haute est ta naissance comme aussi ta noblesse; le royaume de ton père s'étend jusqu'aux bornes du monde; Athanagilde est riche de toutes les richesses de la terre et il gouverne l'Espagne avec une sagesse qui est justement célèbre. Mais pourquoi parler de la puissance de ton illustre père, quand je vois combien tes vertus ont été profitables aux auteurs de tes jours? Autant tu me parais supérieure à toutes les femmes, autant Sigebert l'est à tous les maris. Allez donc ainsi dans cette double union des corps et des cœurs, tous deux égaux en dignité, tous deux ayant les mêmes mérites et les mêmes mœurs, et chacun de vous honorant son sexe par de magnifiques actions. Confondus dans un seul embrassement, vivez toutes vos années dans des plaisirs sans excès. Ce qu'aimera l'un ou l'autre que l'un et l'autre l'aiment. Que la santé soit votre partage, qu'elle vous aide même à conserver vos cœurs, et qu'un seul amour mais vif et solide soit votre commun aliment. Qu'il n'y ait personne sous votre autorité qui ne soit dans la joie; que le monde aime la paix; que la concorde règne victorieuse. Enfin ayez des enfants, qui, à leur tour, vous donneront des petits-enfants. »

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Incipit inde Venus laudes memorare puellæ:

« O virgo miranda mihi placitura jugali,

Clarior ætheria Brunichildis lampade fulgens,

Lumina gemmarum superasti lumine vultus,

Altera nata Venus regno dotata decoris,

Nullaque Nereidum de gurgite talis Hibero

Oceani sub fonte natat, non ulla Napæa

Pulchrior, ipsa suas subdunt tibi flumina nymphas.

Lactea cui facies, incocta rubore coruscat.

Lilia mista rosis, aurum si intermicet ostro,

Decertata tuis nunquam se vultibus æquant.

Sapphirus, alba adamas, crystalla, zmaragdus, iaspis,

Cedant cuncta, novam genuit Hispania gemmam,

Digna fuit species, potuit quæ flectere regem.

Per hiemes validas nivibus, Alpenque Pyrenen,

Perque truces populos vecta est, duce rege sereno,

Externis regina toris. Super ardua montis,

Planum carpis iter: nihil obstat amantibus unquam

Quos jungi divina volunt. Quis crederet autem

Hispanam tibimet dominam, Germania, nasci,

Quæ duo regna jugo pretio conexuit uno?

Non labor humanus potuit tam mira parare:

Nam res difficilis divinis utitur armis.

Longa retro series regi hoc vix contulit ulli.

Difficili nisu peraguntur maxima rerum.

Nobilitas excelsa nitet, genus Athanagildi,

Longius extremo regnum qui porrigit orbe,

Dives opum, quas mundus habet, populumque gubernat

Hispanum sub jure suo pietate canenda.

Cur tamen egregii genitoris regna renarrem,

Quando tuis meritis video crevisse parentes?

Tantum virgo micans turbas superare videris

Femineas, quantum tu, Sigeberethe, maritos.

Ite diu juncti membris et corde jugati,

Ambo pares genio, meritis et moribus ambo,

Sexum quisque suum pretiosis actibus ornans,

Cujus amplexu sint colla conexa sub uno,

Et totos placidis peragatis lusibus annos.

Hoc velit alterutrum quidquid dilexerit alter

Æqua salus ambobus eat, duo pectora servans,

Unus amor, vivo solidamine junctus alescat;

Auspiciis vestris cunctorum gaudia surgant,

Pacem mundus amet, victrix concordia regnet,

Sic iterum natis celebretis vota parentes,

Et de natorum teneatis prole nepotes. »

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Venance Fortunat / Poésies mêlées / LIBER SEXTUS / I. De domno Sigiberetho rege et Brunichilde regina. (Sur le roi Sigebert et la reine Brunehaut) (extrait)
traduit du latin par Charles Nisard (http://remacle.org/bloodwolf/eglise/fortunat/table.htm)
Illustration : Lawrence Alma-Tadema, Venance Fortunat lisant ses poèmes à Radegonde (1862), musée de Dordrecht