« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le loup des steppes


 

 

Moi, le loup des steppes, je trotte et trotte,

La neige recouvre ce monde,

Du bouleau le corbeau prend son envol,

Mais il y a nulle part ni lièvre ni chevrette

Je suis tellement amoureux des chevrettes,

Si seulement j’en trouvais une !

Je la prendrais entre mes dents, entre mes mains,

C’est ce qu’il y a de plus beau.

De tout cœur, je lui rendrais grâce,

Profondément je mordrais dans ses délicats cuissots,

M’enivrerais de son sang rouge clair,

Pour après, toute la nuit, hurler en solitaire.

D’un lièvre, même, je me contenterais,

J’aime dans la nuit sa chaude chair —

Faut-il que je sois brouillé avec tout, et tout

Ce qui rend la vie un peu plus gaie ?

Les poils de ma queue grisonnent déjà,

Je n’y vois plus non plus bien clair,

Ma chère épouse est morte il y a quelques années.

Et maintenant, je trotte et rêve de chevrettes,

Je trotte et rêve de lièvres,

J’entends le vent souffler dans la nuit de l’hiver,

J’abreuve de neige la gorge qui me brûle,

Et j’apporte au diable mon âme et sa misère.

 

 

……………….

 

Steppenwolf

 

 

Ich Steppenwolf trabe un trabe,

Die Welt liegt voll Schnee,

Vom Birkenbaum flügelt der Rabe,

Aber nirgends ein Hase, nirgends ein Reh !

In die Rehe bin ich so verliebt,

Wenn ich doch eins fânde !

Ich nähm’s in die Zähne, in die Hände,

Das ist das Schönste, was es gibt.

Ich wäre der Holden so von Herzen gut,

Fräbe mich tief in ihre zärtlichen Keulen,

Tränke mich satt an ihrem hellroten Blut,

Um nachher die ganze Nacht einsam zu heulen,

Sogar mit einem Hasen wär ich zufrieden,

Süb schmeckt sein warmes Fleisch in der Nacht Ach —

Ist denn alles von mir geschieden,

Was das leben ein bibchen fröhlicher macht ?

An meinem Schwanz ist das Haar schon grau,

Auch kann ich nicht mehr ganz deutlich sehen,

Schon vor Jahren starb meine liebe Frau.

Und nun trab ich und träume von Rehen,

Trabe und träume von Hasen,

Höre den Wind in der Winternacht blasen,

Tränke mit Schnee meine brennende Kehle,

Trage dem Teufel zu meine arme Seele.

 

Hermann Hesse / C’en est trop - Poèmes 1892-1962
traduit de l’allemand par François Mathieu