Poème liminaire
Par domcorrieras, le lundi 8 avril 2019 - Poèmes & chansons - lien permanent
à L.-G. Dama
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude
sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes,
votre frère de sang ?
Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux
Je ne laisserai pas — non ! — les louanges de mépris vous enterrer
furtivement.
Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France.
Car les poètes chantaient les fleurs artificielles des nuits
de Montparnasse
Ils chantaient la nonchalance des chalands sur les canaux de moire
et de simarre
Ils chantaient le désespoir distingué des poètes tuberculeux
Cra les poètes chantaient les rêves des clochards sous l’élégance
des ponts blancs
Car les poètes chantaient les héros, et votre rire n’était pas sérieux,
votre peau noire pas classique
Ah ! ne dites pas que je n’aime pas la France — je ne suis pas
la France, je le sais —
Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu’il a libéré ses mains
A écrit la fraternité sur la première page de ses monuments
Qu’il a distribué la faim de l’esprit comme de la liberté
À tous les peuples de la terre conviés solennellement au festin
catholique.
Ah ! ne suis-je pas assez divisé ? Et pourquoi cette bombe
Dans le jardin si patiemment gagné sur les épines de la brousse ?
Pourquoi cette bombe sur la maison édifiée pierre à pierre ?
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes,
votre frère de sang
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude,
couchés sous la glace et la mort ?
Paris, avril 1940
Léopold Sédar Senghor / Hosties noires