« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Présence d'un château


 

 

Ce château m'appartient ce soir jusqu'à la gorge

Mon cri nourrit la nuit tournante des couloirs

Et les grands escaliers que mes pas interrogent

Et l'ombre d'un passé qui voûte le miroir

 

J'ai refermé sans bruit les ailes des horloges

Et décousu tout un réseau de portes vierges

De mémoire

Mon souffle aiguise une épée morte

et mon regard

Ouvre un bal sous la peau d'un crime par hasard

 

Tous les tableaux que je rencontre me ressemblent

Toutes les rondes que j'allume tournent court

Pourtant je puis ici filer le feu

et tout ensemble

Comme on garde le lit je puis garder la tour

 

Des eaux remuent sous les paupières de la cendre

C'est un étang

Que j'aimerais ne pas trahir avant le jour

Il portera le même nom que moi les nuits d'orage

Puisqu'il surgit du même sang

Du même amour

 

Je convoite l'étang mais je garde la tour

Il ne réglera plus les jeux de ton visage

Sur le vol des canards sauvages

Voyez il a changé de cygne entre deux pages

Pour troubler la face du jour

 

Angèle Vannier / Le sang des nuits. - Seghers, 1966