Le chat d’Arielle
Par domcorrieras, le dimanche 24 février 2019 - Proses & autres textes - lien permanent
Arielle à l’âge certain :
Je me rendais compte de la chance
Que j’avais d’être encore vivante
En ce monde instable.
C’était une vraie gloire.
J’étais en vie et je m’appelais Arielle.
C’était un très joli prénom.
Je ne savais ni lire ni écrire.
On disait que j’étais un peu handicapée
Et que je venais d’une île lointaine.
N’était-ce pas merveilleux !
J’avais un sourire à décrocher la lune.
J’avais une broche dans la cuisse gauche
Parce que j’avais glissé dans une fosse
Sur la plage.
Je ne savais plus quand j’étais née…
Si, en avril…
Ma maman s’occupait bien de moi.
Elle était très gentille ; elle s’appelait Natalia.
Elle ignorait où se trouvait mon papa.
Lui, il s ‘appelait Liviu
Et ça faisait quelque temps qu’elle ne le voyait plus.
La dernière fois qu’elle l’avait aperçu
C’était au bord de la mer.
J’avais un amoureux avant…
Beaucoup plus âgé que moi…
Et il avait un problème au bras droit.
Mais il m’a plaquée un jour.
Temps.
Je ne voulais plus y penser.
Je ne me souvenais plus de son nom.
Je croyais qu’il avait dû mourir.
J’avais un chat noir que j’appelais Hiba.
Je n’ai pas de photo de lui
Et je ne veux pas le dessiner non plus.
Il s’est fait écraser par le camion du laitier.
J’avais une sœur, mais elle est décédée.
Elle s’est étouffée un jour
Parce qu’elle est tombée dans l’eau.
Tous les mots que je dis
Je les garde gravés dans mon cœur.
Je dis que c’est du vivant
Et qu’il n’y a rien de plus précieux.
Je voudrais m’endormir
Avec une pensée bienheureuse
Si douce, si touchante.
Le chœur des anonymes chantant : Le monde dort
à poings fermés
Tandis que passe le manège enchanté. Bis.
Arielle n’avait que six ans
Mais elle en paraissait beaucoup plus.
Régine Bruneau-Suhas / Petites pièces morbides / Le Chat d’Arielle (Cinquième mouvement - Scène 4)
Illustration : dessin de Mathilde Perrot