« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le chat d’Arielle

 

 

 

Arielle à l’âge certain :

Je me rendais compte de la chance

Que j’avais d’être encore vivante

En ce monde instable.

C’était une vraie gloire.

J’étais en vie et je m’appelais Arielle.

C’était un très joli prénom.

Je ne savais ni lire ni écrire.

On disait que j’étais un peu handicapée

Et que je venais d’une île lointaine.

N’était-ce pas merveilleux !

J’avais un sourire à décrocher la lune.

J’avais une broche dans la cuisse gauche

Parce que j’avais glissé dans une fosse

Sur la plage.

Je ne savais plus quand j’étais née…

Si, en avril…

Ma maman s’occupait bien de moi.

Elle était très gentille ; elle s’appelait Natalia.

Elle ignorait où se trouvait mon papa.

Lui, il s ‘appelait Liviu

Et ça faisait quelque temps qu’elle ne le voyait plus.

La dernière fois qu’elle l’avait aperçu

C’était au bord de la mer.

J’avais un amoureux avant…

Beaucoup plus âgé que moi…

Et il avait un problème au bras droit.

Mais il m’a plaquée un jour.

Temps.

Je ne voulais plus y penser.

Je ne me souvenais plus de son nom.

Je croyais qu’il avait dû mourir.

J’avais un chat noir que j’appelais Hiba.

Je n’ai pas de photo de lui

Et je ne veux pas le dessiner non plus.

Il s’est fait écraser par le camion du laitier.

J’avais une sœur, mais elle est décédée.

Elle s’est étouffée un jour

Parce qu’elle est tombée dans l’eau.

Tous les mots que je dis

Je les garde gravés dans mon cœur.

Je dis que c’est du vivant

Et qu’il n’y a rien de plus précieux.

Je voudrais m’endormir

Avec une pensée bienheureuse

Si douce, si touchante.

Le chœur des anonymes chantant : Le monde dort

à poings fermés

Tandis que passe le manège enchanté. Bis.

Arielle n’avait que six ans

Mais elle en paraissait beaucoup plus.

 

Régine Bruneau-Suhas / Petites pièces morbides / Le Chat d’Arielle (Cinquième mouvement - Scène 4)
Illustration : dessin de Mathilde Perrot