« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Nids-de-Poule


 

 

Veliko Tarnovo, 16 avril 2002

 

C’est un pays de nids-de-poule et de poids lourds.

De petits bars au bord des routes.

Odeurs de coke et de gasoil dans les campagnes. Ici

et là, des maisons creuses, sans habitants, les fenêtres ouvertes au vent.

Ciel gris, immeubles gris, population grises.

On fume, on fume sans cesse. Au travail, dans la rue, à table, entre les plats.

 

Dans ce pays, beaucoup attendent, beaucoup regardent, beaucoup ne peuvent rien faire d’autre. Il y a ceux du bord des route, gardiens de vagues troupeaux de chèvres, femmes en fichu avec un cabas, gamines ou simples marcheurs désœuvrés de la vie pauvre.

Le chauffeur a accroché au rétroviseur un petit sapin en carton qui diffuse dans la voiture une insistante odeur de pomme verte.

 

C’est un peuple sans gaîté. Que l’on pourrait croire endormi. Fatigué de manquer d’espoir. On ne sourit pas. Dit rarement bonjour. Les yeux obstinément tournés vers le dedans.

Les oubliés du rideau de fer.

 

Cheveux très noirs, yeux bleus, visage très pâle, la serveuse est plutôt jolie. Mais pourquoi ses bretelles de soutien-gorge qui glissent sur ses épaules sont-elles si mal réglées ? Il est des endroits délicats où la misère va se loger.

 

On aime, par ici, les images : les morts subsistent en médaillons sur la pierre grise des tombes. Sur les murs des chapelles, beaucoup de figures effilées, la tête sous un croissant doré, le visage sombre, creusé et bosselé, pour montrer le souci de la pensée. Ce sont des faces, non des visages.

 

Le vin, la nourriture, sont plutôt doux, presque douceâtres. J’imaginais le Bulgare rude et barbare et je le découvre attendri parfois, quoique ne sachant que faire de ses sentiments, plutôt gêné aux entournures, à peine dégrossi par l’amour.

 

Sur le petit marché de la presque-misère, elles vendent, pauvres et tassées, toutes grises et de noir vêtues, des piles, des cotons-tiges et des bougies.
 

Jean-Michel Maulpoix / Le voyageur à son retour