ODE À CE QUI RESTE DE L’ENFANCE
Par domcorrieras, le samedi 23 février 2019 - Poèmes & chansons - lien permanent
Il fait froid et gris aujourd’hui l’argent du jour lentement se
love aux carreaux
Je me demande ce que j’ajoute à la terrible nudité des choses
J’aimerais parler quelquefois comme on déshabille la vie
Comme on ôte au poisson sa panoplie d’écailles comme on
retire le velours d’un fruit
Écrire à cru sans plus rien de moi-même qui s’entortille à
l’évidente platitude
À la brutalité de la lumière sans le vouloir que chaque fois
j’adoucis
Je me reproche d’aimer surtout du monde ce que j’en fais
Parfois ce qui pointe en effet n’a rien à voir avec mes vitraux
de laine et de chuchotement
Soit un couteau au ciel d’octobre et le vent y affûte une torture
recommencée
Soit la souffrance sans feuillage aux branches tordues des
grands arbres
L’évidence d’une flaque de sang
La roue atroce des heures et rien jamais plus n’y remue
Jusqu’à la tombe je chercherai le peu de mica que le soleil
dessus disperse
La poudre blanche à la joue de l’absence
Mettant même un peu de khôl aux yeux de mes cadavres
Incapable peut-être d’aller chercher dans les trous de leurs
crânes directement
Tout ce que je touche toujours vire à la courbe s’arrondit
Je n’ai jamais dit le malheur que fardé
Délaissant ce qui perce affleure sous la peau de tambour
Court le long des nerfs du poignet dans un réseau de fils
violacés jusqu’à l’épaule
À chaque fois de m’y attarder le paysage en moi prend la
forme de l’émiettement
Ou des paillettes
J’invente des pluies dorées des plis et des drapés à la place
des plaies
Parler m’est pinceau je me délecte à recouvrir la blancheur
des toiles
D’imbéciles inventions de palettes le bleu doux d’un dos de
tourterelle au coin rose des tuiles
Le vert ouvert des grands yeux que j’aime encombrés de
sommeil
Le visage de Bérénice
Sans savoir ce qu’on peut trouver dans ces lingots dilapidés
Je vais toujours à ce qui brille limaille à l’aimant de mon
mauvais goût
Les villes même me font l’effet d’un bras de femme où
cliquette une collection de bijoux
Feu des enseignes rubis de lampions diamants électriques
Sculptant des lettres où je me plais à lire des poèmes
préfabriqués
Par exemple Le furet du Nord quand vient la nuit m’est
l’occasion d’une fable et non d’une librairie
Ici Pommes d’amour ouvre à six heures sur la place le grand
jardin des Hespérides
Je me jette à l’arc-en-ciel d’un manège j’ai six ans du lait plein
les lèvres
Au poing dans un cornet de papier gras tout un fagot de
frites
Quand cela tourne en bout de ligne c’est comme aux chevaux
de bois
On crie Maman est-ce que tu me vois
Sans comprendre que le virage a déjà dévoré nos rires
Tant pis je ne suis fait que d’affaires de rubans
Si vous me donnez la souffrance je chercherai les couleurs
qu’elle prend
À la lancer dans le plein soleil
Au mot de mort lui-même je crois bien que je trouverais des
échos
Disant morsure moirure aux mares des horloges miroir
sans rien oser ici de l’amour
J’avoue je me vautre au velours de mes voyelles je me
racafourne sur les coussins de ma voix
Si je me retourne en arrière je sais bien que toute comptine
agite des osselets
Un cadavre sur un mur Qui sourit à la nature Dit en passant
aux passants Mangez de la confiture Vous serez plus
amusants
Donnez-moi des linceuls j’y couds des toges pour mon
spectacle
Des croix enchevêtrées je ferai des cabanes pour des goûters
d’enfants
J’avoue j’aime ce qui scintille enviant au tissu râpé de la nuit
l’impudeur des étoiles
Toutes branches ouvertes offrant le trésor brillant de leurs
cuisses
Donnez-moi l’armée des fantômes avec trois bouts de chiffon
Je finirai bien par organiser des rondes
Plus belles que leurs pas ne pèsent sur la poussière des rues
Même la folie d’Ophélie si je m’écoutais j’en ferais des javas
Et pour m’extraire de la lourdeur chaque fois c’est la même
fête
Tout vire au carnaval si peu que je m’y attarde je vois les loups
et les sourires plus lumineux d’être barrés
Les yeux brillants à la fente des masques la foire énorme qui
revient
Tout est affaire en moi de temps il en est deux qui s’affrontent
et je ne sais
Lequel est vrai de l’arrêt des choses la hache suspendue
Ou des ariettes où je me noie.
Olivier Barbarant / Odes dérisoires et autres poèmes