« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ODE À CE QUI RESTE DE L’ENFANCE


 

 

Il fait froid et gris aujourd’hui l’argent du jour lentement se

     love aux carreaux

Je me demande ce que j’ajoute à la terrible nudité des choses

J’aimerais parler quelquefois comme on déshabille la vie

Comme on ôte au poisson sa panoplie d’écailles comme on

     retire le velours d’un fruit

Écrire à cru sans plus rien de moi-même qui s’entortille à

     l’évidente platitude

À la brutalité de la lumière sans le vouloir que chaque fois

     j’adoucis

 

Je me reproche d’aimer surtout du monde ce que j’en fais

Parfois ce qui pointe en effet n’a rien à voir avec mes vitraux

     de laine et de chuchotement

Soit un couteau au ciel  d’octobre et le vent y affûte une torture

     recommencée

Soit la souffrance sans feuillage aux branches tordues des

     grands arbres

L’évidence d’une flaque de sang

La roue atroce des heures et rien jamais plus n’y remue

 

Jusqu’à la tombe je chercherai le peu de mica que le soleil

     dessus disperse

La poudre blanche à la joue de l’absence

Mettant même un peu de khôl aux yeux de mes cadavres

Incapable peut-être d’aller chercher dans les trous de leurs

     crânes directement

 

Tout ce que je touche toujours vire à la courbe s’arrondit

Je n’ai jamais dit le malheur que fardé

Délaissant ce qui perce affleure sous la peau de tambour

Court le long des nerfs du poignet dans un réseau de fils

     violacés jusqu’à l’épaule

À chaque fois de m’y attarder le paysage en moi prend la

     forme de l’émiettement

 

Ou des paillettes

 

J’invente des pluies dorées des plis et des drapés à la place

     des plaies

Parler m’est pinceau je me délecte à recouvrir la blancheur

     des toiles

D’imbéciles inventions de palettes le bleu doux d’un dos de

     tourterelle au coin rose des tuiles

Le vert ouvert des grands yeux que j’aime encombrés de

     sommeil

Le visage de Bérénice

Sans savoir ce qu’on peut trouver dans ces lingots dilapidés

 

Je vais toujours à ce qui brille limaille à l’aimant de mon

     mauvais goût

Les villes même me font l’effet d’un bras de femme où

     cliquette une collection de bijoux

Feu des enseignes rubis de lampions diamants électriques

Sculptant des lettres où je me plais à lire des poèmes

     préfabriqués

Par exemple Le furet du Nord quand vient la nuit m’est

     l’occasion d’une fable et non d’une librairie

Ici Pommes d’amour ouvre à six heures sur la place le grand

     jardin des Hespérides

 

Je me jette à l’arc-en-ciel d’un manège j’ai six ans du lait plein

     les lèvres

Au poing dans un cornet de papier gras tout un fagot de

     frites

Quand cela tourne en bout de ligne c’est comme aux chevaux

     de bois

On crie Maman est-ce que tu me vois

Sans comprendre que le virage a déjà dévoré nos rires

 

Tant pis je ne suis fait que d’affaires de rubans

Si vous me donnez la souffrance je chercherai les couleurs

     qu’elle prend

À la lancer dans le plein soleil

Au mot de mort lui-même je crois bien que je trouverais des

     échos

Disant morsure moirure aux mares des horloges miroir

sans rien oser ici de l’amour

 

J’avoue je me vautre au velours de mes voyelles je me

     racafourne sur les coussins de ma voix

Si je me retourne en arrière je sais bien que toute comptine

     agite des osselets

Un cadavre sur un mur Qui sourit à la nature Dit en passant

     aux passants Mangez de la confiture Vous serez plus

     amusants

 

Donnez-moi des linceuls j’y couds des toges pour mon

     spectacle

Des croix enchevêtrées je ferai des cabanes pour des goûters

     d’enfants

J’avoue j’aime ce qui scintille enviant au tissu râpé de la nuit

     l’impudeur des étoiles

Toutes branches ouvertes offrant le trésor brillant de leurs

     cuisses

 

Donnez-moi l’armée des fantômes avec trois bouts de chiffon

Je finirai bien par organiser des rondes

Plus belles que leurs pas ne pèsent sur la poussière des rues

 

Même la folie d’Ophélie si je m’écoutais j’en ferais des javas

 

Et pour m’extraire de la lourdeur chaque fois c’est la même

     fête

Tout vire au carnaval si peu que je m’y attarde je vois les loups

     et les sourires plus lumineux d’être barrés

Les yeux brillants à la fente des masques la foire énorme qui

     revient

 

Tout est affaire en moi de temps il en est deux qui s’affrontent

     et je ne sais

Lequel est vrai de l’arrêt des choses la hache suspendue

Ou des ariettes où je me noie.

 

Olivier Barbarant / Odes dérisoires et autres poèmes