« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ODE AUX FONTAINES

 

 

 

C’est curieux sitôt qu’on en fait le compte

Ne reste de vivre que rien

Au mieux ce qu’on en voit à la surface des fontaines

 

Dans la ville ronde il me revient un soir d’été

On traversait la rivière elle avait mis sa plus belle robe

C’était une explosion de réverbères et de bijoux

Et c’est banal je le sais bien ces affaires de baisers donnés

    dans l’odeur des roses

Ses lèvres qui sentaient l’orange chaude je n’y peux rien

De tous les torses qu’on a croisés ne reste qu’une même

    romance

Leur cœur bat pareil dans le souvenir

 

Des retours la nuit dans Paris tout éméché de feuilles

La javel des premiers métros

Le jour roulait sous la verrière à La Chapelle de vieux

    journaux

Encore une nuit sans sommeil

 

On fait feuilletant les visages l’inventaire de notre vide

Du peu de poids désormais qu’ils auront

À Madrid j’ai compté les corps entrecroisés

Il y avait une pièce à part au fond du bar de nuit

On gaspillait l’amour sur place j’ai tant aimé

L’étreinte à peine camouflée les vêtements demi-ôtés

Toute la précipitation du mensonge des faux-semblants

On ne couchait pas même ensemble c’était debout

Les lits juste faits pour dormir

 

Il y eut des taxis des rencontres très tard

On n’en sait pas le nom il y eut des amours

Des murmures et des grimoires

Les lettres qu’on a échangées

Toute une vie de salle de bains de draps froissés

Et de retours légers dans l’aube enfin complice

Peut-être plus que tout on aime se dilapider

Changer de bras comme de dieux jadis à l’entrée des temples

Pour voir si la dorure tient

 

Un soir aussi plus serein près de la Seine dans un bateau

Les cris de canards et de remorqueurs

On ne revoit plus rien de l’autre qu’un bord de verre où le

    vin tremble

Mais sa face sous la couleur s’est effacée

C’est ainsi l’on voit mieux la nappe plus tard sur la table que

   les traits d’un ami

Mort depuis

Et dans le tissu seules les rides un peu le disent

 

Il y eut à Aix la joie de Juillet

À Marseille un premier sourire

Et sous les toits l’atroce studio surchauffé

Où le soleil tombait tout droit sur notre fièvre

Un corps de miel sur un matelas

À Londres il était allemand

Et bruns et blonds tout se mélange

 

Tout se dérègle tout se raie à mesure que sont faits les comptes

C’est à peine s’il reste à la page un ou deux signes de croix

Quand un jambage couleur de ciel suffirait

Au lieu de mes repentirs une initiale dans de la neige la trace

    d’un insecte

 

IL y eut les soirs de novembre le bar sordide

Les pleurs à rechercher la compagnie des yeux

Simplement des poings et des yeux interchangeables

Pour que la mort ne se voie pas trop

 

Il y eut sous le ciel picard

Notre première aurore le gris soudain plus beau

Que de sourires dans nos brumes le bouquet plus grand que

    moi je le traînais

Sur l’asphalte d’immenses roses comme ferait un balayeur

Le cœur battait vraiment pour la première fois j’allais à ta

    rencontre

Et je jetais dans les pétales sans le savoir la poussière de mes

    propres pas

 

Depuis j’énumère et ce sont des rêves à peine

Tout a fané et tout demeure Presque on aurait honte à le dire

Tant est simple dans les fontaines

L’inventaire des eaux glacées.

 

Olivier Barbarant / Odes dérisoires