La Marjolaine
Par domcorrieras, le mercredi 19 décembre 2018 - Poèmes & chansons - lien permanent
On dansait sur le pont du Nord
Et la bise y soufflait si fort
Qu’elle enleva la Marjolaine,
La Marjolaine et la futaine
De sa jupe et ses bas de laine ;
Et le nuage en son essor
La frôlait, et loin de la ville
La pauvre fille vole et file
Toujours plus dru, toujours plus fort.
Elle tourbillonne et s’écrie :
« Jésus et Madame Marie,
« Puisque je vogue vers la mort,
« Faites qu’aussitôt étourdie
« De ma chute, j’entre brandie
« Dans votre ciel étoilé d’or. »
Et, sous la nue âpre et glacée,
Voilà la prière exaucée :
Au clocher de Saint -Évremond,
La Marjolaine, âme éperdue,
Reste tout à coup suspendue
Par un accroc de son jupon.
Par la nuit froide et pluvieuse
La gargouille silencieuse
Prend soudain parole et lui dit :
« Peu résistante est la futaine,
Songe à ton heure, hélas ! prochaine,
Entends-tu rire le Maudit ? »
Et sous le vent rageur d’automne,
La belle s’épeure et frissonne
Au-dessus du vide entr’ouvert.
Elle compte dans la nuit brune
Les toits bleuissants sous la lune
Et les saints du parvis désert.
Et le Maudit déjà ricane,
Quand un parfum monte et s’émane,
De benjoin, d’encens et de nards,
Et portant à la main des palmes,
Dans l’espace et sous le ciel calmes
Ascensionnent de grands vieillards ;
De grands vieillards en robe blanche,
Dont le front chauve oscille et penche
Sur des chapes de lourds brocarts.
Et puis ce sont par théories
Des vierges en robes fleuries
D’étoiles et de lys épars.
Les fronts sont nimbés d’auréoles
De longs archanges en étoles
Font cortège, et de purs regards
D’azur sombre, où l’on sent des âmes,
Sillonnent de grands traits de flamme
La nuit, la lune et ses brouillards.
Et cela monte avec des psaumes
Et des noëls, anges, fantômes
De vierges saintes et d’élus,
Et conduit en cérémonie
La Marjolaine à l’agonie
Dans le paradis de Jésus.
Jean Lorrain / Contes pour lire à la chandelle