Tout mais pas toi
Par domcorrieras, le samedi 15 décembre 2018 - Poèmes & chansons - lien permanent
Je suis debout près du mur,
moi, mais pas moi.
Que ma vie soit moulue par le délire.
Mais, surtout, non, surtout pas la sienne,
son insupportable voix !
Les jours, par moi
les années, par moi,
abandonnés au quotidien.
Moi-même, étouffé par ce délire.
Lui,
sa vie rongée par les buées domestiques.
Il appelait :
saute
de l’étage
sur le pavé !
Il fuyait l’attrait des fenêtres ouvertes,
dans mon amour,
je me réfugiais.
Peut-être toujours du même côté.
Peut-être toujours en vers et
toujours seulement
comme on marche la nuit,
on écrit en minuscule
et l’esprit devient une lettre minuscule,
et on aime en vers,
et la prose me rend muet.
Alors, voilà, je ne peux plus dire,
je ne sais plus.
Mais où, mon amour,
où, ma chérie,
où
— dans mon chant ! —
ai-je trahi mon amour ?
Ici,
chaque son,
un aveu,
un appel.
Et, dans mon chant,
pas un seul mot de trop.
Je fonce dans la trille,
dans la gamme.
Le regard face
au but !
Fier de mes deux jambes,
je clamerai — :
— Ne bougez pas !
je suis là, tout entier !
Je dirai :
— Regarde,
même ici, chérie,
alors que ces vers détruisent l’horreur du quotidien,
je protège ton nom aimé,
toi,
dans mes malédictions,
je t’épargne.
Viens,
réponds au poème
Moi, j’ai tout embrassé —
Présent !
Maintenant, toi seule peut m’apporter le salut.
Lève-toi !
Courons vers le pont !
Taureau à l’abattoir,
sous le coup,
j’ai baissé mon mufle.
Je me dominerai,
là-bas, j’irai.
Une seconde —
et je ferai le pas.
Vladimir Maïakovski / De ça (1923)
traduit du russe par Henri Deluy