« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

COMPLAINTE DU LÉZARD AMOUREUX


 

N’égraine pas le tournesol,

Tes cyprès auraient de la peine,

Chardonneret, reprends ton vol

Et reviens à ton nid de laine.

 

Tu n’es pas un caillou du ciel

Pour que le vent te tienne quitte,

Oiseau rural; l’arc-en-ciel

S’unifie dans la marguerite.

 

L’homme fusille, cache-toi;

Le tournesol est son complice.

Seules les herbes sont pour toi,

Les herbes des champs qui se plissent.

 

Le serpent ne te connaît pas,

Et la sauterelle est bougonne;

La taupe, elle, n’y voit pas;

Le paillon ne hait personne.

 

Il est midi, chardonneret.

Le seneçon est là qui brille.

Attarde-toi, va, sans danger :

L’homme est rentré dans sa famille !

 

L’écho de ce pays est sûr.

J’observe, je suis bon prophète ;

Je vois tout de mon petit mur,

Même tituber la chouette.

 

Qui, mieux q’un lézard amoureux,

Peut dire les secrets terrestres ?

O léger gentil roi des cieux,

Que n’as-tu ton nid dans ma pierre !

 

 

 

 

Orgon, août 1947

René Char / Les Matinaux / La sieste blanche
Illustration : Portrait de René Char par Romuald Sourisse