« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ÉLÉGIES - Devant la beauté endormie

 

 

 

Sommeil, frère indolent de la nuit ténébreuse,

Dont la douceur ne gît qu’en des images vaines,

Descelle le beaux yeux noyés de ma maîtresse :

S’écoule de la nuit promise l’heure brève,

Promise à moi, Sommeil méchant : pourquoi vouloir,

D’un vol silencieux, fondre sur notre bien ?

Va, rougis d’accabler sous tes noires étreintes

Son jeune corps, plus blanc que neige en Pyrénées.

Plus d’une adolescente en soupirant t’appelle

Sur sa couche déserte au cœur de la nuit veuve,

Et mainte belle épouse d’un vieux mari sans nerf :

Est-il une faveur que d’elles tu n’obtiennes ?

Crois-tu, voluptueux, déguiser tes larcins

Dont nulle jeune fille au monde n’est exempte ?

Même l’enfant qui dort sur le sein de sa mère,

Même la vierge encore intacte t’ont senti,

Navrées, les pénétrer jusqu’au fond de leurs moelles,

Muettes, appelant leur mère, mais en vain.

Tu as accès, Sommeil, au lit de tant de belles :

Qu’une seule, une courte nuit, veille pour moi.

Vois : elle se refuse à toi et, redressée

Sur son coude, elle trouve appui sur ma poitrine ;

Mais, de nouveau vaincue, referme ses yeux clairs,

En doux gémissements sa voix lasse se brise…

Jean Second (1511-1536)
traduit du latin par Pierre Laurens