le 25e jour de la guerre
Par domcorrieras, le jeudi 6 septembre 2018 - Poèmes & chansons - lien permanent
*
le 25e jour de la guerre
il gèle depuis plusieurs jours
le gros merle est revenu
il reste assis immobile gonflant ses plumes
les quatre petites pommes demi-pourries
que je lui avais posées là
il les a emportées
et maintenant il se régale des grains de tournesol
grand souci grande misère
mais le merle va atteindre le printemps
*
le 27e jour de la guerre
j’avais déjà ouvert le robinet
quand je vis au fond de l’évier une araignée
que le raz de marée soudain
entraîna tout droit vers l’abîme
je fermai aussitôt le robinet
et quand l’eau eut coulé toute
j’aperçus l’araignée qui s’agrippait
de ses huit oattes
et remonta
rescapée
survivante
*
le 29e jour de la guerre
une coccinelle était tombée
dans la cuvette des toilettes
je lui ai tendu mon doigt
l’ai rapprochée de ma bouche
lui ai précautionneusement soufflé dessus
finalement elle a déplié tous ses membres
s’est arc-boutée avec une aile
s’est remise sur ses six pattes
eta gambadé
ma coccinelle
straño bicho de Dios
étrange bestiole du Bon Dieu
*
le 31e jour de la guerre
soudain sur la vitre de ma mansarde
l’amicale et folle chrysope
la plus gracieuse et la plus vestaline des mouches
elle a des yeux d’or
cela fait des semaines
que je n’avais vu de chrysope chez moi
depuis le premier jour de la guerre
ceci est la première chrysope
sous ma charpente
bonjour chrysope étrange animal
tu ne sais rien de rien
tu es étourdie
et vaine et frivole
ta présence ne nous aide pas
ne nous avance à rien
tu viens de ton œil d’or indifférent
me lorgner
me narguer
et je t’entends fredonner à peu près ceci :
ta plume qui crisse et gratte et grince
à tracer syllabe après syllabe
sur le blanc papier
crois-tu qu’elle réussira à déplacer
un seul grain de sable
(alors qu’il y a la tempête au désert!)
crois-tu qu’elle réussira à empêcher
une seule goutte de sang
arrête d’écrire
tu ne feras jamais ton éloge de l’orange
et tes petites élégies
sur la coccinelle
et sur l’araignée
elles sont idiotes & débiles
arrête
je n’arrête pas
*
Lambert Schlechter / Ruine de la parole (extrait)