« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L’ENTERRÉ VIVANT


 

 

 

Au citoyen Auguste Vaillant.

 

L’air, plein de senteurs capiteuses,

Grisait les couples amoureux.

Je vis un homme, aux mains calleuses,

Descendre, en un trou ténébreux.

Le ciel resplendit; juin donne

Son suc d’allégresse et d’espoir,

L’essaim fait son miel et bourdonne…

L’homme est toujours dans son trou noir !

 

Comme on comprend bien la paresse !

Les lézards se disent : « Dormons ! »

Cette brise est une caresse,

Un velours bleu dans les poumons.

— L’homme portait une lanterne;

Mais voyez : les lapins, le loir,

Font leur sabbat dans la luzerne…

L’homme est toujours dans son trou noir ;

 

Un pareil jour, les forêts vertes

Devraient se remplir d’écoliers;

On tient partout, grandes ouvertes,

Les fenêtres des ateliers.

Que fait-il, loin de la lumière ?

C’est au soleil qu’il fait beau voir

Les chantiers de la fourmilière…

L’homme est toujours dans son trou noir !

 

Le grillon tourne sa crécelle,

Puis tout s’apaise et s’embrunit.

Le moineau, la tête sous l’aile,

S’endort dans la chaleur du nid.

N’a-t-il pas fini sa journée ?

Voici les étoiles du soir.

La voûte est toute illuminée…

L’homme est toujours dans son trou noir !

 

Il sort enfin ! quels lieux funèbres

Habite donc ce noir maudit !

On croirait qu’il sort de ténèbres

Bien plus épaisses que la nuit.

O mineur ! c’est le cimetière

Où ton dur métier te fait choir.

Cadavre en vie ou dans la bière,

L’homme est toujours dans son trou noir !

Èugène Pottier / Poèmes, chants & chansons