La Nef des Fous
Par domcorrieras, le lundi 25 décembre 2017 - Poèmes & chansons - lien permanent
Dans la grande salle aux portraits
Du Casino de la Jetée
Ébréché par la mer furieuse
Ils attendent comme un départ désespéré
Abandonnent une vieille fascination,
Un joyau qu’ils ne peuvent plus défendre
À la maîtresse du profit :
La Mort, professionnelle et irrévérencieuse.
Le Nain tient dans ses mains
Une étoile brillante et chante
Une vieille ballade des collines tranquilles
Mais rien ne peut les distraire de cet espoir électrique.
Alors il crie bien fort le Nain
Et son étoile d’autant plus scintille.
Toi pendant ce temps
Tu cherches en dormant
Quelqu’un à qui parler et tu n’entends
Ni la rumeur de l’espace
Ni l’étrange sirène de la Nef des Fous
Que chacun attend.
ILs fument des cigarettes brésiliennes
Boivent des tisanes et songent à des enfants
Déguisés en magiciens.
Mieux, peut-être sauront-ils prouver
Que des vérités il y en a autant que d’enfants.
Sombres et épuisés par les déroutes séculaires
Ils ne se doutent pas encore que
Au-delà du malheur s’étend la Féerie
Et qu’en ce monde, la légende du plus faible
Triomphant du plus fort est plus qu’un testament,
Mais un principe de physique élémentaire.
Dehors la tempête rugit, menace les réfugiés
Si beaux, si gris.
Mais leurs visages émaciés
Dessinent mille sentes et le chant des cigales.
Pendant ce temps, tu défais en dormant
La trame de la réalité et tu n’entends
Ni la rumeur de l’espace
Ni l’étrange sirène de la Nef des Fous
Qui force la tempête.
Oh ! Ils ne s’encombrent pas de la philosophie compliquée
Des Cavaliers de l’Ombre et s’il pleut ici
Ils se poussent là-bas. Mais
Leur passé n’est en aucun cas derrière eux.
C’est une fabuleuse saga dont ils veulent jouir librement.
Voilà pourquoi ils luttent.
L’affection défie le mécanisme du temps.
Seules les statues, dans leur spectacle figé de l’Homme
Ne changent jamais. tout au plus s’éliminent-elles.
Ils savent bien que rien en ce monde
Rien ne peut rester
Un et indivisible. Ce mensonge sanguinaire
N’en a plus pour très longtemps.
Ceux qui prétendent le saper pensent déjà au pouvoir.
Oh ! Combien de morsures de bourreau cela nous coûte de l’affirmer !
Cush, l’ami abyssin de Corto, dirait cependant :
Des bourreaux qui font semblant d’être des bourreaux.
Et toi pendant ce temps
Tu noies tes Chios marines
En dormant et tu n’entends
Ni la rumeur de l’espace
Ni l’étrange sirène de la Nef des Fous
Qui approche des Anges.
Dans le Casino de Babel
Le Nain jongle maintenant avec son étoile brillante
Ezéchiel s’enflamme et lève sa tasse fumante
À la santé des images des soixante :
Au Clown sacré qui jalonne de tendresse
La tribu énigmatique, celle qui cherche
Circule ses révoltes, ses tourments
Depuis les rebondissements de sa naissance !
Pons de Cimiez sort sa tête d’un cartable
Surenchérit de même :
Au Clown sacré, celui qui fait rire
Celui qui fait pleurer, celui qui fait réfléchir.
Tous ces jeudis lointains de l’enfance
Finissaient immanquablement par la fenêtre ouverte
Sur cette longue route poussiéreuse
Où nous suivions The Tramp…
Et pendant ce temps
Tu élabores en dormant
Des mirages nouveaux et tu n’entends
Ni la rumeur de l’espace
Ni l’étrange sirène de la Nef des Fous
qui accoste et s’immobilise.
Le Nain, l’œil brillant
(il en tient une fameuse !)
Lance à la cantonade sa voix de soprano :
Ose Ami, ô Sole, ose étonner autant que nous vivrons !
Et chacun l’applaudit bien fort.
Et chacun se laisse aller.
Trfème se lève alors et lisse
Son grand nez siffleur pour dire :
Au Roi Arthur !
Ils reprennent tous en chœur.
Pourquoi ? demande alors un discret.
C’est un roi et un martyr et nous venons après lui
Perdus dans ce marais brumeux.
Parce qu’il est esprit et nous sommes avec lui
Parce que c’est comme si nous buvions à l’inévitable
Au jardin purifié du Destin
Il est temps de vider la coupe
À la barbe brûlante de l’Enfer !
Et toi pendant ce temps
Tu voudrais en dormant et tu n’entends
Ni la rumeur de l’espace
Ni l’étrange sirène de la Nef des Fous
Qui est bien arrivée maintenant.
Derrière une colonne de marbre
Un pilote masqué de Savoie fait la cour à la Mosca
Elle ne l’écoute guère, mais sourit gentiment
Elle a vu tant de taureaux sauvages
Baiser sa frêle main et celui-ci
A tué honorablement. Il ne craint pas de l’être.
Il lui raconte à l’oreille ses meurtrissures :
Je survolais le pays ligure
À bord d’un Olivetti 1919 de la série Dante Alighieri
J ‘avais le soleil dans le dos, lorsque…
C’est à ce moment qu’entra un inconnu.
C’était un de ces marins paumés des comix
Qui s’en vont à vau-l’eau.
Enfant, déjà il devait ouvrir de très grands yeux
Sombres, mais maintenant, il les entr’ouvrait juste comme pour signifier
J’en ai vu pas mal déjà
Je suis le Captain Morgan et mon vaisseau là
C’est la Nef des Fous.
Vous autres, je vous connais
Le passage aura bien lieu, j’en réponds.
Et pendant ce temps-là
Toi tu rêves en dormant
À la fable du bonheur permanent et tu n’entends
Ni la rumeur de l’espace
Ni l’étrange sirène de la Nef des Fous
Qui appelle les retardataires.
Le bonheur n’est pas permanent. Il est ultime
Et l’illusion le précède. Au paradis,
Dans sa représentation approximative
Il n’est pas prouvé que l’on n’y meure pas d’ennui.
Le réel et l’imaginaire se perçoivent parmi ces déportés.
Et cependant ils n’hésitent pas à sacrifier le temps dont ils
disposent
Pour entrevoir un instant seulement
Le rivage possible et radieux
Où personne ne leur lancera de pierre à la figure
Où personne n’insultera leurs enfants.
La Mosca déguise un regard soutenu au Cap’ Morgan.
Mais lui, il renvoie derrière un demi-sourire, ironique
Tous les subterfuges de toutes les femmes fatales
Qu’il a connu jadis
Dans tous les ports du monde.
Mais derrière son immobilité de forceur de chance
La voyant, son cœur tressaillit
Elle, en fut mystérieusement avertie.
Et pendant ce temps
Tu récites des stances en dormant
À celle que tu t’inventes et tu n’entends
Ni la rumeur de l’espace
Ni l’étrange sirène de la Nef des Fous
Qui largue ses amarres.
Oh ! La Nef des Fous !
Loin de Santa-Rita, elle emporte nos rêves disloqués
Dans l’espace sombre et cruel.
Mais jouant à fond de cale la rock’n’roll music
Nous les accompagnons dans ce périple
Par une antique et mystérieuse sentence, il en va ainsi.
Mais ne manquez surtout pas la galère
Car la mort est déjà sur nos talons.
et pendant ces événements
Tu t’es précipité hors de ton sommeil.
Et voilà que le casino est vide à présent.
Tu entends la rumeur de l’espace et au-delà
Tu reconnais le chant harmonieux de la Terre Promise.
Ce chant-là déchire tes tympans.
Il est loin cependant. L’atmosphère ne l’oppresse plus…
Tu pleures de rage seul et désespéré.
Le vent fouette ton âme redevenue
Ce charnier si douloureux que tu fuyais.
Malheureux ! Que faisais-tu paupières closes ?
Le rêve il faut le fixer à temps
Les yeux grands ouverts
Et ne pas le lâcher, pas le lâcher…
La Jetée est déserte. Désormais
La tempête s’est tue. Un gris profond
Lumineux ferme le ciel
Des extrémités de la Cité jusqu’à l’horizon.
Trop tard absolu. C’est fini maintenant
Et l’on n’entendra plus la sirène étrange de la Nef des Fous
Car jamais elle ne reviendra, semblable.
Joan-Luc Sauvaigo / Compendi derisòri dau desidèri - Compendium dérisoire du désir
Photo Gui.B.: À gauche, Jànluc Sauvaigo en train de lire les Faulas de Nissa avec Miquel de Carabatta.