La nuit en plein midi
Par domcorrieras, le mardi 31 octobre 2017 - Poèmes & chansons - lien permanent
Il règne sur la ville une nuit négatrice
l’Arlequin blanc et noir noir et blanc devenu
N’y voit rien de changé sinon que les actrices
Accrochent au moyen d’épingles à nourrice
L’ombre des rayons X à leur épaule nue
Équation fantôme aux belles inconnues
Ces jours-ci s’est ouvert le Carnaval de Nice
Personne excepté moi ne s’en est souvenu
Une lumière inverse encre la mascarade
Sous les mimosas noirs un feuillage de lait
Donne aux jardins fardés leur éclat de salade
Accrochés au-dessous des étoiles malades
Un châle de lueurs y drape ses chalets
Dans leur panier de fleurs immobile ballet
Football pétrifié descendant vers la rade
Le peuple des maisons prend des airs de palais
Gratte-ciel florentins Kremlins miniatures
Dédale de Dehli Poker d’as à cent dés
Alhambras délirants Villas Architectures
Venise au pied petit Schœnbrunn caricature
Cauchemar mil neuf cent Palaces d’orchidées
Où Pelléas épèle un noir a b c d
Et les cheveux épars rêve de stucatures
En chemise de nuit Mélisande accoudée
Balcons céruléens ornés de figurines
Saxe dépaysés Tanagras et grigris
Le cygne de minuit vient chercher Lohengrin
Et Lancelot-du-Lac qu’une Manon chagrine
Dévisage au tournant une fausse Marie
Bashkirtseff qui causait avec des Walkyries
Bedlam ou Charenton Près de la Fornarine
Desdémone a surpris Othello son mari
Le geste au ralenti que fait le discobole
Lance une lune opaque entre l’époque et nous
Que de farandoliers pour une farandole
La redoute commence où l’intrigue se noue
Où les dominos blancs ressemblent aux burnous
Juan Tenorio que poursuivent les folles
Ôte le loup de l’une et reste sans parole
Ce n’est pas pour prier qu’il se jette à genoux
Amour abandonnons aux ténèbres mentales
Leur carnaval imaginaire. Il me suffit
Du monde tel qu’il est sur les cartes postales
La gesticulation d’ombres monumentales
Commente le soleil de leur hypertrophie
Des passants à faux-nez l’un l’autre s’y défient
Ô nuit en plein midi des éclipses totales
Triste comme les rois sur leurs photographies
Louis Aragon / Les nuits