« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Ours


 

 

 

 

Ourse morte debout,

pattes sur bûche tombée,

hurlant. Transpercée

en plein cœur.

 

Le chasseur ne voulait que la tête,

la dépouille. Je l’ai mangée

pour lui épargner la benne où on l’aurait jetée

nue parmi les ordures,

sas peau, comme nous le serions,

écorchés,

rouge mort.

 

Reviennent maintenant des rêves d’ursidés

pour l’avaleur d’ours : ô Dieu,

les ours sont descendus le long de la colline,

des ours de partout sur la terre,

de toutes couleurs, tailles, quittant

lentement la forêt derrière la cabane.

 

J’ai dégringolé

de huit cent mètres pour mourir dans le fleuve,

poussé. Puis les roues ont grincé ;

j’ai filé avec le courant le temps de m’accrocher

à un sapin blanc, l’esprit bondissant un pas en arrière,

pour l’apercevoir, mi-oiseau, mi-ours,

au réveil dans l’arbre en train de sécher

ses plumes et fourrure.

 

Hotei* et ours

assis côte à côte,

disparaissent l’un et l’autre.

Qui dira qui

de nous est un ?

 

Nous avons chargé les troncs de cinq cents kilos

à la main, le camion vacillait.

Stoppé pour caresser mon ami et secours,

l’ours à mon côté, œil contre œil,

souffle contre souffle.

 

Et maintenant ce soir, grande lune bleue

de novembre. Tressaillant de me trouver à longer l’arête d’un marais embrumé

aux ténébreux mélèzes, de humer l’air humide

et froid, délicieux au clair de lune.

Impossible tentation de cette ciguë noirâtre,

démangeaison de tout abandonner, de rentrer

le ventre vide en traînant, avec le carré

jaune de la lampe entre les arbres,

de me détourner,

de délaisser encore cette forme humaine.






 

* Hotei : L’un des sept dieux zen du bonheur (N.d.T.)

Jim Harrison / L’éclipse de lune de Davenport
traduit de l’américain par Jean-Luc Piningre