« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA FILLE DE JOIE


 

 

 

 

 

Le brouillard glissait dans les ruelles

Lentement Toulon disparaissait

Et parmi les ombres irréelles

La sueur aux tempes je te suivais.

 

Je t’avais aperçue sous un porche

Les seins nus sous un grand châle noir

Que tu ouvrais quand dans la rue Hoche

Les marins se pressaient pour te voir.

 

J’étais ivre de vent et de pluie

Supplicié par un désir sans fard

Quand dans la brume aux couleurs de suie

Mes seize ans t’imploraient du regard.

 

Je t’avais suivie dans cette chambre

Où j’ignorais tout du rituel

Payer avant que le corps se cambre

Payer pour le droit d’être cruel.

 

Je fus maladroit et toi si douce

Tu m’as dit en t’approchant de moi

« Tu trembles n’aie pas peur joli mousse

Je sais que c’est ta première fois. »

 

Après t’être penchée sur mon ventre

Sur un vieil édredon délavé

Tu m’as appris qu’il est parfois tendre

Et si troublant d’être dépravé.

 

J’ai aimé ton vieux corps de Madone

J’ai aimé tes seins lassés d’amour

Ce calice aux parfums de l’automne

Où expiraient tes amants d’un jour.

 

J’ai aimé ton corps d’enfant malade

Qui a rassasié mille marins

`Tous les marins ivres de la rade

Qui venaient désaouler leur chagrin.

 

Et qui venaient frapper à ta porte

Prélever leur part de tes vingt ans

Et t’enivrer de leur liqueur forte

Qu’en buvant tu remboursait comptant.

 

Je me suis rhabillé en silence

Une personne grinçait au vent

J’avais mal à mon adolescence

L’homme venait de tuer l’enfant.

 

enfin tu m’as rendu à la brume

Et dans les eaux noires de la nuit

J’ai exorcisé mon amertume

En vomissant mon rêve détruit.

 

Depuis j’ai erré dans les méandres

D’un plaisir toujours inassouvi

Que de corps emmêlés, que de chambres

Larmes glacées au vent de l’oubli.

 

J’erre et je te cherche et je t’invente

Sans pouvoir t’atteindre désormais

Ombre du passé première amante

Je t’aimais le sauras-tu jamais ?

J’erre et je te cherche dans ces antres

Où je n’en finis pas de mourir

ET ces filles penchées sur mon ventre

Ne sont là que pour me souvenir.

 

Le brouillard glisse dans la rue Hoche

Il pleut j’ai froid où donc es-tu ?

Une vieille femme sous ton porche

M’a dit que tu ne reviendrais plus.

Jean-Paul Sermonte / Poèmes amoureux