« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Première soirée


 

 

 

 

— Elle était fort déshabillée

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.

 

Assise sur ma grande chaise,

Mi-nue, elle joignait les mains.

Sur le plancher frissonnaient d’aise

Ses petits pieds si fins, si fins.

 

— Je regardai, couleur de cire

Un petit rayon buissonnier

Papillonner dans son sourire

Et sur son sein, — mouche au rosier.

 

— Je baisai ses fines chevilles.

Elle eut un doux rire brutal

Qui s’égrenait en claires trilles,

Un joli rire de cristal.

 

Les petits pieds sous la chemise

Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »

— La première audace permise,

Le rire feignait de punir !

 

— Pauvrets palpitants sous ma lèvre,

Je baisai doucement ses yeux :

— Elle jeta sa tête mièvre

en arrière : « Oh ! c’est encor mieux !…

 

« Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »

Je lui jetai le reste au sein

Dans un baiser, qui la fit rire

D’un bon rire qui voulait bien…

 

— Elle était fort déshabillée

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.

Arthur Rimbaud / Cahier de Douai (1870)