« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE FANTÔME


 

 

 

« Les nouveaux fantômes gémissent, les anciens pleurent

On les entend par les jours pluvieux et sombres. »

TU-FU (712-770)

 

 

Parfois quand s’insinue le soir

Répondant à l’appel du vent

Je vais solitaire m’asseoir

Sur les ruines d’un vieux couvent.

 

Et là je contemple la nuit

Tissant sa toile sur mon île

Étirant ses ombres sans bruit

Du rivage à ce campanile.

 

Du haut de son immense empire

Séléné trame ses émaux

Dans la vallée quelques lampires

Éclairent le cœur des hameaux.

 

C’est l’instant troublant des mystères

Où dans les ruines du couvent

Les fantômes sortent de terre

Les mânes hurlent dans le vent.

 

Et moi seul vivant au royaume

Des esprits de réminiscences

J’attends immobile un fantôme

Un spectre de ma connaissance.

 

Mais soudain la clarté lunaire

Embrase de flammes trop blanches

Les ruines d’un vieil ossuaire

Devant moi s’écartent les branches…

 

Je l’entends qui vient, le voilà

Dans son suaire frémissant

Immaculé, sauf au cœur, là

Fleurit un nymphéa de sang.

 

C’est un grand voile, un blanc linceul,

Mais n’enveloppant que du vide.

Tout à coup je me sens plus seul

Que la lune au regard livide

 

Je suis seul mais je n’ai pas peur,

Ou moins peur qu’avec les vivants.

Bientôt une voix de torpeur

M’attire dans le vieux couvent.

 

Et là, dans le cœur des ténèbres

Des chants s’exhument des tombeaux

J’entends des litanies funèbres

Je vois frissonner des flambeaux.

 

Je suis l’incantation d’un psaume

Qui invoque dans l’au-delà

L’âme des morts ; et le fantôme

Que j’ai appelé le voilà !

 

Soudain sa voix me nomme et dit :

« Pourquoi, mais pourquoi revenir

Dans ce lieu sacré mais maudit

Où reposent tes souvenirs ?

 

Pourquoi me cherches-tu sans cesse,

Ne crains-tu donc pas l’anathème

De la vie ta jolie maîtresse

Pourquoi me cherches-tu sans cesse ? »

 

— Je te cherche parce que je t’aime.

 

Je t’aime et je t’aimerai toujours

O toi l’immaculée aurore

Qui a illuminé mes jours

De ta clarté de météore.

 

Je t’aime, oui, et tu n’es point morte.

La tristesse à voix de sirène

M’appelle et sans cesse m’escorte

Mais c’est toi mon unique reine.

 

« Enfant cruel au cœur blessé

Tu es ici dans le rauyaume

Des morts, es-tu donc insensé

D’invoquer ainsi des fantômes ?

 

Regarde je ne suis plus rien

Qu’un parfum de pétale mort,

Qu’un souvenir qui se souvient,

Qu’un rêve éteint qui rêve encor.

 

Pourtant j’étais belle, oui très belle

Tu m’aimais, tu m’aimes toujours

Mais si je te suis infidèler

Ce n’est pas par manque d’amour.

 

C’est que je suis morte oui bien morte,

Morte dans l’espace et le temps

Accepte que la nuit m’emporte

Et toi dans l’aurore va-t-en. »

 

Quand j’ai quitté le vieux couvent

La vallée au loin s’embrasait

La plaine exacerbée du vent

Dans l’aube pâle s’apaisait.

 

Saison, vague, étoile ici-bas

Les choses meurent et renaissent

Mais l’homme lui ne revient pas

Alors adieu fantôme…

 

Doux fantôme de ma jeunesse.

Jean-Paul Sermonte / Poèmes amoureux