LE FANTÔME
Par domcorrieras, le lundi 2 janvier 2017 - Poèmes & chansons - lien permanent
« Les nouveaux fantômes gémissent, les anciens pleurent
On les entend par les jours pluvieux et sombres. »
TU-FU (712-770)
Parfois quand s’insinue le soir
Répondant à l’appel du vent
Je vais solitaire m’asseoir
Sur les ruines d’un vieux couvent.
Et là je contemple la nuit
Tissant sa toile sur mon île
Étirant ses ombres sans bruit
Du rivage à ce campanile.
Du haut de son immense empire
Séléné trame ses émaux
Dans la vallée quelques lampires
Éclairent le cœur des hameaux.
C’est l’instant troublant des mystères
Où dans les ruines du couvent
Les fantômes sortent de terre
Les mânes hurlent dans le vent.
Et moi seul vivant au royaume
Des esprits de réminiscences
J’attends immobile un fantôme
Un spectre de ma connaissance.
Mais soudain la clarté lunaire
Embrase de flammes trop blanches
Les ruines d’un vieil ossuaire
Devant moi s’écartent les branches…
Je l’entends qui vient, le voilà
Dans son suaire frémissant
Immaculé, sauf au cœur, là
Fleurit un nymphéa de sang.
C’est un grand voile, un blanc linceul,
Mais n’enveloppant que du vide.
Tout à coup je me sens plus seul
Que la lune au regard livide
Je suis seul mais je n’ai pas peur,
Ou moins peur qu’avec les vivants.
Bientôt une voix de torpeur
M’attire dans le vieux couvent.
Et là, dans le cœur des ténèbres
Des chants s’exhument des tombeaux
J’entends des litanies funèbres
Je vois frissonner des flambeaux.
Je suis l’incantation d’un psaume
Qui invoque dans l’au-delà
L’âme des morts ; et le fantôme
Que j’ai appelé le voilà !
Soudain sa voix me nomme et dit :
« Pourquoi, mais pourquoi revenir
Dans ce lieu sacré mais maudit
Où reposent tes souvenirs ?
Pourquoi me cherches-tu sans cesse,
Ne crains-tu donc pas l’anathème
De la vie ta jolie maîtresse
Pourquoi me cherches-tu sans cesse ? »
— Je te cherche parce que je t’aime.
Je t’aime et je t’aimerai toujours
O toi l’immaculée aurore
Qui a illuminé mes jours
De ta clarté de météore.
Je t’aime, oui, et tu n’es point morte.
La tristesse à voix de sirène
M’appelle et sans cesse m’escorte
Mais c’est toi mon unique reine.
« Enfant cruel au cœur blessé
Tu es ici dans le rauyaume
Des morts, es-tu donc insensé
D’invoquer ainsi des fantômes ?
Regarde je ne suis plus rien
Qu’un parfum de pétale mort,
Qu’un souvenir qui se souvient,
Qu’un rêve éteint qui rêve encor.
Pourtant j’étais belle, oui très belle
Tu m’aimais, tu m’aimes toujours
Mais si je te suis infidèler
Ce n’est pas par manque d’amour.
C’est que je suis morte oui bien morte,
Morte dans l’espace et le temps
Accepte que la nuit m’emporte
Et toi dans l’aurore va-t-en. »
Quand j’ai quitté le vieux couvent
La vallée au loin s’embrasait
La plaine exacerbée du vent
Dans l’aube pâle s’apaisait.
Saison, vague, étoile ici-bas
Les choses meurent et renaissent
Mais l’homme lui ne revient pas
Alors adieu fantôme…
Doux fantôme de ma jeunesse.
Jean-Paul Sermonte / Poèmes amoureux