DÉCOURAGEUX
Par domcorrieras, le mercredi 30 novembre 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
Ce fut un vrai poète : Il n’avait pas de chant.
Mort, il aimait le jour et dédaigna de geindre.
Peintre : il aimait son art — Il oublia de peindre…
Il voyait trop — Et voir est un aveuglement.
— Songe-creux : bien profond il resta dans son rêve
Sans lui donner la forme en baudruche qui crève,
Sans ouvrir le bonhomme, et se chercher dedans.
— Pur héros de roman : il adorait la brune,
Sans voir s’elle était blonde… Il adorait la lune ;
Mais il n’aima jamais — Il n’avait pas le temps. —
— Chercheur infatigable : Ici-bas où l’on rame,
Il regardait ramer, du haut de sa grande âme,
Fatigué de pitié pour ceux qui ramaient bien…
Mineur de la pensée : il touchait son front blême,
Pour gratter un bouton ou gratter le problème
Qui travaillait là — Faire rien. —
— Il parlait : « Oui, la Muse est stérile ! elle est fille
D’amour, d’oisiveté, de prostitution ;
Ne la déformez pas en ventre de famille
Que couvre un étalon pour la production !
« Ô vous tous qui gâchez, maçons de la pensée !
Vous tous que son caprice a touchés en amants,
— Vanité, vanité — La folle nuit passée,
Vous l’affichez en charge aux yeux ronds des manants !
— Elle vous effleurait, vous, comme chats qu’on noie,
Vous avez accroché son aile ou son réseau,
Fiers d’avoir dans vos mains un bout de plume d’oie,
Ou des poils à gratter, en façon de pinceau ! »
— Il disait : Ô naïf Océan ! Ô fleurettes,
Ne sommes-nous pas là, sans peintres, ni poètes !…
Quel vitrier a peint ! quel aveugle a chanté !…
Et quel vitrier chante en raclant sa palette,
« Ou quel aveugle a peint avec sa clarinette !
— Est-ce l’art ?… »
— Lui resta dans le sublime Bête
Noyer son orgueil vide et sa virginité.
(Méditerranée.)
Tristan Corbière / Raccrocs