« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

DÉCOURAGEUX


 

 

 

 

Ce fut un vrai poète : Il n’avait pas de chant.

Mort, il aimait le jour et dédaigna de geindre.

Peintre : il aimait son art — Il oublia de peindre…

Il voyait trop — Et voir est un aveuglement.

 

— Songe-creux : bien profond il resta dans son rêve

Sans lui donner la forme en baudruche qui crève,

Sans ouvrir le bonhomme, et se chercher dedans.

 

— Pur héros de roman : il adorait la brune,

Sans voir s’elle était blonde… Il adorait la lune ;

Mais il n’aima jamais — Il n’avait pas le temps. —

 

— Chercheur infatigable : Ici-bas où l’on rame,

Il regardait ramer, du haut de sa grande âme,

Fatigué de pitié pour ceux qui ramaient bien…

 

Mineur de la pensée : il touchait son front blême,

    Pour gratter un bouton ou gratter le problème

        Qui travaillait là — Faire rien. —

 

— Il parlait : « Oui, la Muse est stérile ! elle est fille

D’amour, d’oisiveté, de prostitution ;

Ne la déformez pas en ventre de famille

Que couvre un étalon pour la production !

 

« Ô vous tous qui gâchez, maçons de la pensée !

Vous tous que son caprice a touchés en amants,

— Vanité, vanité — La folle nuit passée,

Vous l’affichez en charge aux yeux ronds des manants !

 

— Elle vous effleurait, vous, comme chats qu’on noie,

Vous avez accroché son aile ou son réseau,

Fiers d’avoir dans vos mains un bout de plume d’oie,

Ou des poils à gratter, en façon de pinceau ! »

 

— Il disait : Ô naïf Océan ! Ô fleurettes,

Ne sommes-nous pas là, sans peintres, ni poètes !…

Quel vitrier a peint ! quel aveugle a chanté !…

Et quel vitrier chante en raclant sa palette,

 

« Ou quel aveugle a peint avec sa clarinette !

— Est-ce l’art ?… »

 

                    — Lui resta dans le sublime Bête

Noyer son orgueil vide et sa virginité.

 

 

(Méditerranée.)

Tristan Corbière / Raccrocs