BLASON DE LA GORGE
Par domcorrieras, le vendredi 11 novembre 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
L’hault plasmateur de ce corps admirable,
L’ayant formé en membres variable
Meit la beaulté en lieu plus eminent,
Mais pour non clorre icelle incontinent,
Ou finir toute en si petite espace,
Continua la beaulté de la face
Par une gorge yvoirine et très blanche,
Ronde et unie, en forme d’une branche :
Où d’ung pillier qui soustient ce spectacle,
Qui est d’amour le très certain oracle,
Là où j’ay faict par grand dévotion
Maint sacrifice, et mainte oblation
De ce mien cueur, qui ard sur son autel
En feu qui est a jamais immortel,
Lequel j’arouse, et asperge de pleurs
Pour eau benoiste et pour roses et fleurs ;
Je voy semant gemissemens et plainctz
De chantz mortelz environnez, et plains
En lieu d’encens, de souspirs parfumez,
Chaulx et ardans pour en estre allumez.
Doncques, ô gorge, en qui gist ma pensee,
Dès le menton justement commencee,
Tu, t’eslargis en ung blanc estomach,
Qu’est l’eschiquier qui faict eschec et mact
Non seullement les hommes, mais les Dieux,
Qui dessus toy jouent de leurs beaulx yeulx.
Gorge qui sers à ma dame d’escu,
Par qui amour plusieurs fois fut vaincu,
Cra onc ne sçeut tyrer tant fort et roide
Qu’il ait mué de sa volonté froide
Pour mon pouvoir penetrer jusqu’au cueur,
Qui luy resiste, et demeure vainqueur.
gorge de qui amour fait ung pulpitre,
Où plusieurs foys Venus chante l’epitre,
Qui les amantz eschauffe à grand desir
De parvenir au souhaité plaisir :
Gorge qui est ung armaire sacré
A chasteté déesse consacré
Dedans lequel la pensee pudique
De ma maistresse est close pour relique ;
Gorge qui peult divertir la sentence
Des juges plains d’assuree constance,
Jusqu’à ployer leur severe doctrine,
Lorsque Phrines descouvrit sa poitrine :
Reliquaire, et lieu très precieux
en qui amour ce dieu sainct glorieux
Reveremment et dignement repose,
Lequel souvent baisasse, mais je n’ose,
Me cognoissant indigne d’aprocher
Chose tant saincte, et moins de la toucher,
Mais me suffit que de loing je contemple
Si grand beaulté, qu’est felicité ample.
O belle gorge, ô precieuse ymaige,
Devant laquelle ay mis pour temoignaige
De mes travaulx, ceste despouille mienne,
Qui me resta depuis ma plays ancienne,
Et devant toy pendue demourra
Jusques à tant que ma dame mourra.
Maurice Scève