« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L’Art

 

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Oui, l’œuvre sort plus belle

D’une forme au travail

Rebelle,

Vers, marbre, onyx, émail.

 

Point de contraintes fausses !

Mais que pour marcher droit

Tu chausses,

Muse, un cothurne étroit !

 

 

Fi du rythme commode

Comme un soulier trop grand,

Du mode

Que tout pied quitte et prend !

 

Statuaire, repouse

L’argile que pétrit

Le pouce,

Quand flotte ailleurs l’esprit ;

 

 

Lutte avec le carrare,

Avec le paros dur,

Et rare,

Gardiens du contour pur ;

 

Emprunte à Syracuse

Son bronze où fermement

S’accuse

Le trait fier et charmant ;

 

D’une main délicate

Poursuis dans un filon

D’agate

Le profil d’Apollon.

 

Peintre, fuis l’aquarelle,

Et fixe la couleur

Trop frêle

Au four de l’émailleur ;

 

Fais les sirènes bleues,

Tordant de cent façons

Leurs queues,

Les monstres des blasons ;

 

Dans son nimbe trilobe

La Vierge et son Jésus,

Le globe

Avec la croix dessus.

 

Tout passe. — L’art robuste

Seul a l’éternité :

Le buste

Survit à la cité.

 

Et la médaille austère

Que trouve un laboureur

Sous terre

Révèle un empereur.

 

Les dieux eux-mêmes meurent.

Mais les vers souverains

Demeurent

Plus forts que les airains.

 

Sculpte, lie, cisèle ;

Que ton rêve flottant

Se scelle

Dans le bloc résistant !

Théophile Gautier
Illustration : Théophile Gautier par Roubaud