« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA ROSE DES VENTS

 

 

       

 

 

 

 

      J’ÉCRIRAI du Nord comme du Sud j’écrirai des lettres pleines de promesses et de vengeances une pluie de lettres qui s’abattra écaillant les joues les fronts de leurs coins durs de leurs arêtes dures

 

       J’écrirai d’assis de debout en dormant en fuyant les crocodiles et les rochers féroces

 

       Je soulèverai des tonnes de déserts pour me cacher pour écrire des lettres des tonnes de vent et de silence

 

       Personne ne verra grimacer mon visage personne ne saura que j’ai faim

 

       On dira me voyant au restaurant ou devant une pile d’oiseaux mécaniques on dira c’est un copain ou bien je lui ai prêté ma brosse à dents ou bien on ne dira rien Mais j’écrirai des lettres de l’Est et de l’Ouest et du Sud-Ouest ou du Nord-Nord-Est Et ceux-là reculeront qui auront cru passer à travers mon corps Et les lettres seront de grandes images transparentes pleines de serpents et de maisons à plusieurs étages

 

       Et ceux-là qui ouvraient de grandes bouches pour rire pâliront et souffriront Ils ne sauront pas encore ce que c’est que la faim — non bien sûr — mais ils diront Peut-être a-t-il faim Alors on répétera dans les cercles de famille Peut-être a-t-il faim On dira A-t-il faim en se serrant un peu davantage au coin du feu ON DIRA on dira Il faudrait peut-être crier pour l’effrayer ou mettre des jattes de lait devant la porte pour l’apaiser Mais celui-là dira des choses incompréhensibles Il sera bête il aura envie de s’asseoir au soleil et de baver

 

     Trop tard Les lettres tomberont des étagères des huiliers par la chasse du tout-à-l’égout Des lévriers de papier tireront de grandes langues rouges qui saliront l’air qui empliront les vêtements qui brûleront fébrilement les derniers scrupules les derniers aboiements de l’or

 

       Je serai alors environ au centre de la 

 

ROSE DES VENTS

Gérald Neveu