« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

VANITÉ

 

 

 

 

Si nous disons, doucement, doucement

Tout ce qu’un jour il nous faudra bien dire,

Qui donc écoutera nos voix sans rire,

Mornes voix geignardes de mendiants

qui vraiment les écoutera sans rire ?

 

Si nous crions rudement nos tourments

Depuis toujours montant couche à couche,

Quels yeux regarderont nos larges bouches

Faites au gros rire de grands enfants

Quels yeux regarderont nos larges bouches ?

 

Quel cœur entendrait nos vastes clameurs ?

Quelles oreilles nos colères chétives

Qui restent en nous comme des tumeurs

Dans le fond noir de nos gorges plaintives ?

 

Quand nos morts sont venus avec leurs Morts

Quand ils nous ont parlé de leurs voix lourdes ;

Comme nos oreilles ont été sourdes

À leurs cris, à leur appels les plus forts

Comme nos oreilles ont été sourdes.

 

Ils ont laissé sur la Terre leurs cris,

Dans l’air, sur l’eau, ils ont tracé leurs signes

Pour nous Fils aveugles et indignes

Qui ne voyons rien de ce qu’ils ont mis

dans l’air, sur l’eau où sont tracés leurs signes.

 

Et puisque nos morts nous sont incompris

Puisque nous n’entendons jamais leurs cris

Si nous pleurons doucement, doucement

Si nos crions rudement nos tourments

quel cœur entendra nos vastes clameurs

quelle oreille les sanglots de nos cœurs ?

Birago Diop / Leurres et lueurs - Présence africaine, 1960.