La vie est un trésor qui décroît chaque nuit
Par domcorrieras, le jeudi 30 octobre 2014 - Poèmes & chansons - lien permanent
Vivent les libations, vive la volupté !
J’ai vendu tout mon bien, acquis ou hérité,
Au point que ma tribu entière m’a renié
Comme on remise au loin un chameau goudronné,
Les pouilleux cependant ne m’ont pas condamné
Ni les hôtes cossus des tentes satinées.
Toi qui blâmes les jeux d’armes, la volupté
En échange, offres-tu quelque immortalité ?
Certes, si tu ne peux repousser mon trépas
Laisse-moi la jouissance et l’oubli ici-bas.
Si trois choses manquaient à mon jeune bonheur,
Point ne me soucierait l’ultime visiteur.
C’est d’abord : devancer les reproches d’un trait
En lampant ce vin frais qui pétille à souhait
Et encore : jaillir ! secourir qui m’appelle
Comme un loup qu’on excite et que la soif harcèle.
Et enfin : dissiper l’ennui d’un ciel voilé
Auprès d’une beauté sous un mât bien dressé,
Ronde tel l’asclépias aux ramures tressées
D’où pendent en parure anneaux et bracelets.
L’homme généreux à son gré se désaltère ;
Qui de nous aura soif, si demain on l’enterre ?
La tombe de l’avare inquiet pour son argent,
La tombe de l’oisif qui prodigue à tout vent,
Toutes deux, à mes yeux, ne sont qu’un tas de terre
Qu’une dalle a scellé, sourde stèle de pierre.
La mort nonchalamment fauche le généreux
Et dérobe au mesquin son bien le plus précieux.
La vie est un trésor qui décroît chaque nuit ;
Comme le temps nous presse, et que les jours s’enfuient !
La mort, si l’on diverge, en longe nous maintient :
Ballante d’un côté, de l’autre bien en main,
Sa laisse, un jour, se tend, nous ramène à la mort
Et ceux pris dans ses rets souffrent le même sort.
Tarafa Ibn Al-‘Abd Al-Bakrî (538-564)
traduit de l'arabe par patrick Mégarbané et Hoa Hoï Vuong