« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

La vie est un trésor qui décroît chaque nuit

 

 





Vivent les libations, vive la volupté !

J’ai vendu tout mon bien, acquis ou hérité,

Au point que ma tribu entière m’a renié

Comme on remise au loin un chameau goudronné,

Les pouilleux cependant ne m’ont pas condamné

Ni les hôtes cossus des tentes satinées.

Toi qui blâmes les jeux d’armes, la volupté

En échange, offres-tu quelque immortalité ?

Certes, si tu ne peux repousser mon trépas

Laisse-moi la jouissance et l’oubli ici-bas.

 

Si trois choses manquaient à mon jeune bonheur,

Point ne me soucierait l’ultime visiteur.

C’est d’abord : devancer les reproches d’un trait

En lampant ce vin frais qui pétille à souhait

Et encore : jaillir ! secourir qui m’appelle

Comme un loup qu’on excite et que la soif harcèle.

Et enfin : dissiper l’ennui d’un ciel voilé

Auprès d’une beauté sous un mât bien dressé,

Ronde tel l’asclépias aux ramures tressées

D’où pendent en parure anneaux et bracelets.

 

L’homme généreux à son gré se désaltère ;

Qui de nous aura soif, si demain on l’enterre ?

La tombe de l’avare inquiet pour son argent,

La tombe de l’oisif qui prodigue à tout vent,

Toutes deux, à mes yeux, ne sont qu’un tas de terre

Qu’une dalle a scellé, sourde stèle de pierre.

La mort nonchalamment fauche le généreux

Et dérobe au mesquin son bien le plus précieux.

La vie est un trésor qui décroît chaque nuit ;

Comme le temps nous presse, et que les jours s’enfuient !

La mort, si l’on diverge, en longe nous maintient :

Ballante d’un côté, de l’autre bien en main,

Sa laisse, un jour, se tend, nous ramène à la mort

Et ceux pris dans ses rets souffrent le même sort.

Tarafa Ibn Al-‘Abd Al-Bakrî (538-564)
traduit de l'arabe par patrick Mégarbané et Hoa Hoï Vuong