« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L'AN 1829

 

 

 

 

Pour que je me vide à l'aise de mon sang,

Laissez-moi le champ libre, de la place,

Par pitié ne me laissez pas étouffer

Dans ce monde étriqué d'épiciers !

 

Ils mangent de bonnes choses et boivent du bon vin,

Et profitent de leur bonheur de taupe,

Leur générosité est aussi grande

Que la fente du tronc des pauvres.

 

Ils ont le cigare à la bouche

Et les mains enfoncées dans les poches ;

Et de leur digestion, ils n'ont pas à se plaindre, —

S'ils pouvaient quant à eux être moins indigestes !

 

Ils font commerce des épices

Venues du monde entier, mais dans l'air

En dépit des épices on sent toujours

L'odeur fétide d'une âme d'aigrefin.

 

Ah ! Si seulement je voyais de grands vices,

Des crimes sanglants et colossaux, —

Mais pas cette vertu satisfaite

Et ce monde de gens solvables.

 

Nuages qui passez dans le ciel,

Emmenez-moi, peu importe l'endroit !

En Laponie ou en Afrique,

Fût-ce en Poméranie — Pourvu que je m'en aille !

 

Emmenez-moi, par pitié ! — ils ne m'entendent pas —

Les nuages là-haut ne sont pas si stupides,

Quand ils passent au-dessus des toits de cette ville,

La peur les prend et ils pressent l'allure. 

Heinrich Heine / Romances (traduction d'Anne-Sophie Astrup et Jean Giégan)