« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Lila

 

 

 

 

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Lila aurait bien aimé être sur l'île en ce moment. Son grand-père avait des abeilles et il se faisait des tartines avec le miel des abeilles et il lui faisait goûter. Elle se rappelait qu'il posait toujours ses tartines sur une assiette blanche et bleue. Et puis il y avait eu ses obsèques, ils avaient vendu sa maison et donné les assiettes blanches et bleues à Emmaline, et Lila n'avait jamais revu les abeilles. Elle croyait que les abeilles étaient parties sur l'île avec son grand-père. Et que des fois, elles revenaient, alors elle les revoyait, et les abeilles savaient toujours où était son grand-père. C'est à cela qu'elle avait pensé ce matin quand elle vu l'abeille sur la voiture.

«Je te l'avais dit que n'était pas comme ça que tu trouverais le bonheur, Lila», dit sa mère. Son visage avait ce petit sourire qu'elle avait toujours quand elle cherchait à donner mauvaise conscience à quelqu'un.

«J'en ai assez d'entendre ça, maman, répondit Lila. Quel bonheur t'as trouvé, toi

Des petits yeux en tête d'épingle, des yeux, des yeux, des yeux...

Sa mère pensait que Lila irait en enfer parce qu'elle était mauvaise, mais sur l'île, quand tu y allais, peu importait que tu sois mauvais. Tu y allais, point. C'était dans le tableau sur le mur de son grand-père.

Le vent tourna le coin, s'engouffra sous son chandail et lui souffla quelque chose dans les yeux, comme du sable ou de la poussière ou quelque chose, et elle ne vit plus rien. Elle dut s'arrêter, se coller contre un mur de brique et cligner des paupières pour l'enlever.

Là ! derrière le coin de l'immeuble, elle le voyait ! Quelque chose la suivait ! Elle se concentra dessus, se concentra un peu plus, de toutes ses forces. Elle était vraiment une sorcière parce que lentement le visage commençait à apparaître. Elle avait le pouvoir de faire venir les choses à elle.

 Mais elle voyait maintenant que c'était pas du tout un homme qui la suivait. C'était juste un chien. 

 

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Robert Pirsig / Lila (extrait)