« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

PASSAGE II

 

 

 

 

De toute l'immensité de son corps enfin dévêtu, elle en appelle au témoignage de l'aube, à sa rigueur comme à sa grâce. Les dernières chaînes qui la retenaient captive de louches seigneuries sont tombées : la voici libre et suzeraine à son tour. Suzeraine des regards qu'elle mûrit dans le plein été de ses formes et qu'elle installe dans un frisson de sa poitrine.

Elle va, la femme, et sa marche et chacun de ses gestes et le jet d'un sourire l'enveloppent d'une clarté qui arrache à de très anciennes torpeurs la terre qu'elle foule et celle-ci, comme un parchemin jusque-là indéchiffrable et soudain traduit, accepte d'être ainsi forcée, unie désormais à la pureté fécondante.

Nudité que nul n'atteint ni ne résoud s'il n'a passion de neiges éternelles, ne porte en soi murmure de source.

Elle va, la femme des rêves traversés, la femme d'un pays où tout incendie est germe d'un élan nouveau, la femme des fables réinventées. Elle va par le pouvoir de son corps, tentante comme l'aventure marine, dégagée comme elle de la corruption du masque.

Aucune solennité ne la distance de ses fidèles. Elle est désir comme la vitre est transparence et le ciel passe par elle avant d'entreprendre son œuvre terrestre, par elle qui cherche sa respiration dans le vol d'un oiseau et peut-être du plus hardi, du plus fou d'espace.

Elle va, sœur de la main qui délivre et du baiser qui pacifie. Elle impose la profondeur de ses yeux sans rivage parce que le printemps n'en finira pas de naître d'un battement de ses paupières.

Elle porte le miracle de chaque instant : ce poudroiement de rosée sur notre destin.

Paul Chaulot / La porte la plus sûre (Seghers)