« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le vieux mendiant

 

 



 

 

 

                   J'ai vu de bonnes gens, j'ai vu de saintes gens, mais je n'ai jamais vu mon chapeau plein d'argent.

                   Il tremble tout crasseux devant ma mine grise... Une gargouille en vie est tombée de l'église ?

                   Je grogne, O jeune enfant, ton sou neuf me désarme. Pardon si j'ai la gueule argentée de mes larmes.

                   J'en ai pourtant compris, estimé, vu des choses, hommes-loups, femmes-chiens et la neige et les roses.

                   Aux socs de mes pieds nus raboteurs des ornières, j'ai vu par grands copeaux se lever la poussière.

                   J'ai vu la fée un jour au bord de mes vingt ans, et de l'avoir vue fuir je pleure en mon vieux temps.

                   Que de fois j'aurai vu, tendresse de mon cœur ! — la flamme du fusil abattre un lièvre en fleur.

                   Hôte de ces bois noirs, souvent j'ai vu l'orage nous balayer le ciel d'un balai de feuillage.

                   Ah ! tout ce que j'ai vu ! J'ai vu pendant nos guerres saint Michel éclaireur de Jeanne la Guerrière.

                   Il la baisait au front, torche haute en avant. J'ai vu bien des guirlandes d'Amours dans le vent.

                   Hier j'ai vu, c'était la Sainte-Niquedouille, à travers l'arc-en-ciel l'averse des grenouilles.

                   Mais je n'ai jamais vu — pieuses bonnes gens — non, je n'ai jamais vu mon chapeau plein d'argent.
 

 

Paul Fort