« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L'évocation des monstres

 

 





Je mis mon voile et je pré­pa­rai des gateaux d’orge.

Je les jetai sur le bûcher et je pré­sen­tai les vic­ti­mes aux ombres.

Car j’avais sacri­fié trois petits chiens au poil noir.

Et je mélan­geai à leur sang du vitriol et du coing,

Et du char­don jaune fendu, et quel­que dif­forme plan­tain,

Et des raci­nes rou­ges et du chry­san­thème enfin.

Et je rem­plis ensuite le ven­tre des chiens, et je les mis sur le bûcher,

Et j’arro­sai d’eau les entrailles et les ver­sai autour de la fosse creu­sée.

Je revê­tis un man­teau noir, et je frap­pai un bronze malé­fi­cieux.

J’entrai en prière, et elles prê­tè­rent aus­si­tôt l’oreille à mon jeu.

La Tisi­phone, l’Alectô, et la divine Mégère,

Elles rom­pi­rent les caver­nes de l’abîme où l’on ne sou­rit guère,

Et de leur tor­ches sèches elles pro­je­tè­rent une lueur de sang.

La fosse aus­si­tot s’illu­mina, le feu mor­tel tout gron­dant,

Une vapeur noire se répan­dit en haute fumée,

Et aus­si­tôt des Enfers à tra­vers la flamme les créa­tu­res se sont éveillées,

Ter­ri­bles, impos­si­bles à regar­der, épou­van­ta­bls et cruel­les.

Le corps de la pre­mière est en fer, et c’est elle

Que les Infer­naux nom­ment Pan­doré, et avec elle s’avan­çait un mons­tre effrayant,

La créa­ture à trois têtes, intua­ble à jamais et aux aspects chan­geants :

C’était Hécate, la fille du Tar­tare, et de son épaule gau­che sur­gis­sait

Un che­val à la lon­gue cri­nière, et à droite c’était une chienne qui voyait,

Avec des yeux féro­ces, et au milieu il y avait une Tête sau­vage

Et à deux mains elle tenait des épées munies de gar­des.

En cer­cle Hécate et Pan­doré tour­naient ici et là,

Autour de la fosse, et des Expia­tions bon­dis­saient du même pas.

Les Argo­nau­ti­ques d’Orphée