« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

La chanoinesse (conte)

 

 






Une superbe cha­noi­nesse

Por­tait dans ses sour­cils altiers

L’orgueil de ses seize quar­tiers.

Un jour, au sor­tir de la messe,

En pré­sence de l’Eter­nel,

En face de tout Israël,

Tan­dis qu’elle fen­dait la presse,

Et s’avan­çait le nez au vent,

Un faux pas fait choir la déesse,

Jam­bes en l’air, et front devant.

Cette chute fut si traî­tresse,

Qu’en dépit de tous ses aïeux,

Qui vou­lut, vit de ses deux yeux

Le pre­mier point de sa noblesse ;

Car on ne peut nier cela,

Toute noblesse vient de là :

Ce point en valait bien la peine ;

L’ivoire, le rubis, l’ébène,

N’ont rien de plus éblouis­sant.

Elle avait rai­son d’être vaine ;

Le beau che­va­lier qui la mène,

Noble et timide ado­les­cent,

La rele­vait en rou­gis­sant,

Et recou­vrait d’un air décent,

Mais plein de feu, mais plein de grâce,

La pudeur prise au dépourvu.

- Eh ! mon­sieur, dit-elle à voix basse,

Ces mes­sieurs bour­geois l’ont-il vu ?

Sta­nis­las de Bouf­flers (1738-1815)