« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

la suggestion

 

 

 

 

 

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  La troi­sième sorte d’influen­ces, la sug­ges­tion, est très puis­sante. Cha­cun subit l’influence de la sug­ges­tion ; cha­cun exerce une sug­ges­tion sur une autre. De nom­breu­ses sug­ges­tions agis­sent très faci­le­ment sur nous, sur­tout si nous ne savons pas que nous y som­mes expo­sés. Mais même si nous le savons, les sug­ges­tions pénè­trent.

  Il existe une loi qu’il est très impor­tant de com­pren­dre. En règle géné­rale, à quel­que moment que ce soit, un seul cen­tre tra­vaille en nous — la pen­sée ou le sen­ti­ment. Notre sen­ti­ment est d’une cer­taine espèce quand un autre cen­tre ne l’observe pas, quand le pou­voir de cri­ti­quer est absent. Par lui-même, un cen­tre n’a ni cons­cience ni mémoire ; c’est un mor­ceau de viande sans sel d’une sorte par­ti­cu­lière, un organe, une cer­taine com­bi­nai­son de sub­stan­ces qui pos­sède sim­ple­ment une capa­cité spé­ciale d’enre­gis­tre­ment.

  En fait, on pour­rait par­fai­te­ment le com­pa­rer à la cou­che sen­si­ble d’un ruban enre­gis­treur. Si je lui dis quel­que chose, il peut plus tard le répé­ter. Il est com­plè­te­ment méca­ni­que, orga­ni­que­ment méca­ni­que. Tous les cen­tres dif­fè­rent tant soit peu quant à leur sub­stance, mais leur pro­prié­tés sont les mêmes.

  Si je dis à un cen­tre que vous êtes beau, il le croit. Si je lui dis que ceci est rouge — il croit aussi. mais il ne com­prend pas ; sa com­pré­hen­sion est entiè­re­ment sub­jec­tive. Par la suite, si je lui pose une ques­tion, il répond en répé­tant ce que j’ai dit. Il ne chan­gera pas, ni en cent ans ni en mille ans. Il res­tera tou­jours le même. Notre men­tal n’a pas de faculté cri­ti­que en lui-même, pas de cons­cience, rien. Et tous les autres cen­tres sont pareils.

  Qu’est-ce alors que notre cons­cient, notre mémoire, notre faculté cri­ti­que ? C’est très sim­ple, c’est ce qui entre en action quand un cen­tre en observe spé­cia­le­ment un autre, quand il voit et sent ce qui s’y passe et, le voyant, enre­gis­tre le tout en lui-même.

  Il reçoit de nou­vel­les impres­sions ; et par la suite, si nous vou­lons savoir ce qui s’est pro­duit aupa­ra­vant, c’est en cher­chant dans un autre cen­tre que nous serons en mesure de trou­ver ce qui s’est passé dans le pre­mier. Il en va de même avec notre faculté cri­ti­que — un cen­tre en observe un autre. Avec un cen­tre, nous savons que cette chose est rouge, mais un autre cen­tre la voit bleue. Un cen­tre essaie tou­jours d’en per­sua­der un autre. Voilà ce qu’est la faculté cri­ti­que.

  Si pen­dant long­temps deux cen­tres sont en désac­cord, à pro­pos d’une chose, ce désac­cord nous empê­che d’y réflé­chir davan­tage.

G.I. Gurd­jieff / extrait de G. I. Gurd­jieff parle à se élè­ves - Stock - Monde ouvert