« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Femme noire

 

 

Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté !
J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux.
Et voilà qu’au cœur de l’Été et de Midi, je te découvre. Terre promise,
    du haut d’un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un aigle.
Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais
    lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes
    du vent d’Est
Tam-tam sculpté, tam-tam tendu qui grondes sous les doigts
    du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel
    de l’Aimée.
Femme nue, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle, huile calme
    aux flancs de l’athlète, aux flancs
    des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles
    sur la nuit de ta peau
Délices des jeux de l’esprit, les reflets de l’or rouge
    sur ta peau qui se moire
À l’ombre de ta chevelure, s’éclaire mon angoisse
    aux soleils prochains de tes yeux.
Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe
    dans l’Éternel
Avant que le Destin jaloux ne te réduise en cendres
        pour nourrir les racines de la vie.

Léopold Sédar Senghor / Chants d’ombre