« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Après une promenade solitaire

 

 

     Après une promenade solitaire à Uchon je reviens vers ma voiture à l’orée de la forêt. La brassée de genêts sur le pare-brise m’apprend que tu es passée là avec mari et enfants, et que tu as demandé aux fleurs jaunes et creuses comme de minuscules barques solaires d’être les voyelles et les consonnes d’une lettre adultère.

    Vingt ans après ta disparition les archives de mon cœur me sont accessibles.

    Je me souviens de tes crimes. Je les voyais alors comme innocents. Je ne me trompais pas. Tu émergeais en riant des douleurs que tu infligeais, comme on ressort de l’eau, baptisée de soleil, les yeux fous de renaître. Même nos erreurs il faut les faire d’une main ferme. Il est impossible de vivre sans cruauté. Respirer, exercer sa joie, c’est déjà blesser quelqu’un alentour. Les femmes sont brutales, n’est-ce pas. Les madones sont sanglantes. Elles piétinent dans l’enclos d’une liberté — sautent par-dessus la barrière et vont se perdre dans la nuit. sans elles pas de vie risquée, aucun amour, rien.

    Ton rire quand on t’accuse : la délivrance du bateau quand il se détache du quai et retrouve le grand large.

    J’ai été une tache de soleil dans un sous-bois, jamais si proche de tout connaître.

    J’ai été toi et c’était la même révélation.

Christian Bobin / Noireclaire (extrait)