« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LES RUBENS ET LE CARABINIER

 

 

Bien-sûr, ça va et ça revient. L'obscénité de s'épancher sur son impuissance Ou le déshonneur de la victime. Mais cela prouve-t-il autre chose que le temps passe et que le mal est de voyage dans la mer ?

Monsieur le Crabinier, dans un découpage classique, auriez-vous pu garder vos rubans bleus et de surcroît, avec le clinquant de votre sourire ? Prenez votre temps pour répondre Nous sommes en droit de détester les précipitations, après les avalanches de pierres que nous aurons eues à essuyer à la sortie de notre sommeil d'hiver qui s'annonce rude.

- Nous allons traverser un bassin en passant le pont.
Bien-sûr, vous allez dire que vous n'êtes pas pressé, que c'est vous qui prenez le temps. Et nous pouvons revenir sur cette question de disponibilité de nos temps respectifs, voir la maîtrise de chacun sur la durée de l'autre. Ce n'est pas pour autant que nous aurons une réponse sur vos rubans bleus, ni même sur vos rubens bleus et le clinquant de votre sourire. Mais nous y reviendrons. - Dire: si je ne m'impose pas je suis perdu ou une vache est plus lourde que son poids quand elle vous tombe sur la tête. - Nous mettrons notre patience avant votre réponse et y reviendrons :
Alors Monsieur le Carabinier, vos rubans bleus et le clinquant de votre sourire ?

Le premier travail d'extraction, je le fais sur mon visage, comme un champ à déminer. Un rat court à se mettre à l'abri d'une nuée de sauterelle. Une odeur contaminante me dérobe les écarts.

Peut-être que l'on peut surfer à la surface des choses, de façon qu'il n'y ait de visible que le beau du mouvement. Mais comment imprimer ma gravité dans ce que j'exprime ? Me démêler le chant, me soulever l'expression à ma hauteur, me pétrir le regard dans l'œil déprimant des profondeurs ? Ou vous imaginer une suite après le repos. Alors Monsieur le Carabinier, allons-nous reprendre ce découpage classique, avec vos rubans bleus et le clinquant de votre sourire ? Peut-être simplement une question de procédure, un cumul de courtoisie qui grossit à distance, un épileptique enchaînement de rires qui nous détourne la semence. Mais comment allons-nous nous départager sur ce retard, sur votre sourire ?

Maintenir une ligne droite est assassin si en la maintenant l'on tuait les courbures.
- Alors que le temps renaît de ses cendres

Rebrousser le temps et voir que je suis dans un autre bloc-cage. faut marquer le temps pour en remarquer le passage. Aurais-je dû naître dans le dix-neuvième comme un poète maudit où le cri était encore reconnaissable et risquait de tomber dans une oreille connue entre les deux fiacres d'une même compagnie sous un réverbère éclairé à la tête de Nerval ?

Une lueur passe, une lueur d'espoir en un fil absent.

Me tisser la marche en un abrégé de pressentiment. Pullulent de mouches ivrognes, ivres de désir. Une bulle accroupie au sortir du mille. Ou me torturer le cou dans la marche. Définir le moment par le glissement chimérique des bordures. Vieillissement.
Que je tourne dans le vide, doit être que je tourne sans sujet. Ou que je toure court dans le sujet.

Le languissant de mes pas à me dérober le visible. Nulle résonnance, nul chatouillement. Pas de fond pour le rebond et je reste dans ses divisibles.

Je dis : c'est ça la vie et je pointe le stylo. Et c'est déjà passé, c'est déjà passé. Mais où mais où mais où ? Il me reste le stylo dans la main et des grimaces. Tristesse. C'est que je traverse ce qui est passé.

Alors Monsieur le Carabinier, ne serait-ce pas un peu trop que de vous laisser vos rubens bleus et de n'avoir qu'à ruminer pour ce qui reste du temps à ruiner ?

Seyhmus Dagtekin / Artères-solaires