« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

le grand


 
 
 
déprimé au bout du bar
il avait l'habitude de se faire payer
ses verres, il est devenu chauve et
je me tiens près de lui :
tu es le plus grand poète
de notre époque, tu es le
seul que tout le monde
comprenne...
 
nous buvons du café dans son petit
appartement pauvrement meublé, ses huiles
sont accrochées au mur. je vais lui offrir de
l'argent, du papier, de la peinture, une meilleure
machine à écrire, il va me donner des
manuscrits
originaux.
 
je le regarde et sens qu'il a peur de
moi, il tousse, son estomac doit être
noué, embarassé,
mal en point.
 
je lui dit :
je sais tout de toi :
tu as eu un cruel beau-père
espagnol, tu as vécu avec
un tas de putes, tu t'es saoulé
à mort,
tu as crevé de faim...
 
ouais, qu'il
répond.
 
je m'approche :
à ma manière tranquille,
je suis un adorateur des
héros...
 
lorsque je m'en vais avec ses manuscrits (signés),
une des huiles plus
3 carnets à spirale
illisibles,
il ne me raccompagne pas à la porte, il y a un
miroir et il reste là à se regarder dans le
miroir et il
baisse la tête, honteux et
fini.
 
«L'Artiste, a dit un jour un vieux sage,
est toujours assis sur le seuil du
riche.»
 
je remonte dans ma charrette, balance le paquet à l'arrière et
démarre.

Charles Bukowski / Les jours s'en vont comme des chevaux sauvages dans les collines