« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE SOUVENIR


 

 

 

 

M’étant par bonheur attardé,

En flânant dans les avenues,

À votre fenêtre accoudée

Je vous ai surprise nue,

Mais mon cœur était accordé.

 

Mais mon cœur était accordé

À des voix de très loin venues.

Le noir de l’ombre avait fardé

Les grands yeux blancs de la statue

Du carrefour où j’ai rôdé.

 

Venant d’Arcueil ou de Passy

Un vent frais soufflait dans la rue :

Je suis passé, c’était ici

Et je vous ai surprise nue

Tachant de blanc la molle nuit.

 

Feuille morte des temps passés,

Fantôme une nuit apparue,

Beaux drapeaux au matin hissés,

Qu’êtes-vous belle devenue,

Dans Paris la ville pressée ?

 

Pressée de vivre et de flamber,

Impassible et bien vite émue,

De tant de nuits vite tombés,

Telle celle où vous étiez nue

À votre fenêtre accoudée.

Robert Desnos / Contrée