« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA CHANSON DE LA VILLE MORTE


 

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I

 

En pénétrant dans la ville morte

Je tenais Margot par la main.

Un éternel petit matin

Nous apportait sa lumière morte.

Nous allions de ruine en pétrin

Dans les rues, de porte en porte.

Ce qui avait été des portes

S’ouvrait sur d’étranges confins.

Je tenais ma femme par la main

Dans les rues de porte en porte.

 

II

 

Ce n’était que portes vides

Et poubelles pleines de cris.

Des explosifs incorrigibles

Se dérobaient dans les replis.

Nous marchions dans la nécropole

Les pieds brisés et sans paroles

Devant ces portes sans cadoles,

Devant ces trous indéfinis,

Devant ces portes sans paroles

Et ces poubelles pleines de cris.

 

III

 

Nous allions, le cou un peu raide,

Vers d’indiscutables secrets.

Personne ne nous venait en aide.

Aller à pied vers le passé

Vaut moins que tout ce qui précède.

Et nous étions si fatigués

Dans ces venelles malitornes

Que nous cherchâmes une borne

Ou un peu de ciment cassé

Afin de reposer nos pieds.

 

IV

 

Main sur main nous avons trouvé,

Éparpillés dans la poussière,

Les belles chansons roturières

Qui recouvraient les vieux pavés.

Des airs bien connus de casernes

Se joignaient à nos intentions

Et fleurissaient une lanterne

Chanson de charme d’un clairon

Qui fleurissait une lanterne

Dans un rêve de garnison.   

 

 

(1953.)

Pierre Mac Orlan / Chansons pour avccordéon