« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

La Tempête


 




Prospero
.   Elfes des bois, des lacs, des ruisseaux, des collines,

    Et vous qui, sur le sable, en danse imperceptible,

    Poursuivez Neptune en reflux, et qui fuyez

    Quand il va remonter, et vous, marionnettes

    Dansant au clair de lune et traçant ces ronds verts

    Où la brebis ne veut brouter une herbe amère,

    Vous qui vous amusez à faire vers minuit

    Pousser les champignons, et qui prenez plaisir

    En écoutant le son des graves couvrefeux,

    Vous qui m’avez aidé, de vos forces débiles,

    A voiler le soleil de midi, à drosser

    Les vents en révolte, à faire hurler la guerre

    Entre la verte mer et la voûte d’azur —

    J’armais de tous ses feux le tonnerre effrayant

    Et j’ai parfois fendu les chênes de Jupin

    Avec sa propre foudre et sur leur forte base

    J’ai fait trembler les promontoires, retourné

    Cèdres et pins par les racines. des tombeaux

    Ont, sur mon ordre ouverts, fait s’éveiller leurs morts ;

    On les a vus sortir par ma haute magie.

    Mais je veux abjurer ces rudes sortilèges

    Quand j’aurai demandé (ce que je fais ici)

    Quelques accents encor de céleste musique

    Pour remplir mes desseins sur leur âme, et cela,

    C’était ce que voulait ce charme aérien,

    Alors je veux briser ma baguette magique

    Et l’enterrer, à bien des toises sous le sol.

    Plus profond que jamais ne descendit la sonde.

    Je veux noyer mon livre.

 

 

…/…  

William Shakespeare / La Tempête / Prospero Acte V. Sc. i (extrait)
traduit de l'anglais par Joseph Aynard.