« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LES BŒUFS

 


 

    Tranquilles et leur ombre allongée sur les champs, les grands bœufs descendaient au profil d’un coteau, traînant les moissons d’or sous les feux du couchant, et tout l’été passait dans les lourds chariots.

 

    L’herbe de la prairie, où glissait l’or de l’air, soulevait des vapeurs et grisait mon émoi; la luzerne et le thym, par flots lissant la terre, venaient, flots de senteurs, se perdre jusqu’à moi.

 

    Que les couchants sont doux à l’âme douloureuse, et qu’il est bon de s’attendrir avec le jour ! Ces heures apaisées sont la prairie heureuse où l’homme oublie la haine et rêve un peu d’amour.

 

    Ô j’ai vécu, ce soir, j’ai vécu de senteurs ! Et je croyais revivre, en un monde attendri, ces belles charités et toute la douceur qui fleurissait mon âme au printemps de ma vie.

 

    Hélas, je vis bientôt la nuit cerner mon ombre et les grands bœufs tragiques, sous le ciel violet, remonter un coteau comme s’ils labouraient, dans le soir orageux, quelque nuage sombre.

Paul Fort