« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA CINQUIÈME SAISON


 

 

 

 

Les quatre saisons passent et s’en vont,

la cinquième reste toute la vie.

LETTRE DE CORNÉLIUS POSTMA

 

 

Quatre petits tours et puis s’en vont

Et un cinquième par-dessus le marché

pour les enfants qui n’ont pas demandé pourquoi

        le manège tournait

 

Le peintre est semblable à ces enfants

il ne demande pas raison aux saisons

 

Furtive étreinte de l’éternité

coup de foudre

L’éclair déshabille l’amour

et la vie s’en empare

pour le plaisir

Et déjà l’amour

la mort le couve du regard.

 

Tourne la manivelle de satin

chantait Michèle

un beau matin

Tournent

ceux que dérisoirement la romance appelle

les jouets du destin

Tourne l’été de Vivaldi

tourne l’hiver de Varsovie

le printemps de Botticelli

tourne l’automne de n’importe qui

dans les vingt-quatre heures du Mans

Tourne la vie

tourne le temps

 

Le peintre est un chiffonnier fastueux

 

Seul au milieu des débris de la vie

comme un sablier sur une plage déserte

il les écoute

les regarde

leur sourit

et met la main sur son cœur

et les peint le cœur sur la main

 

Revivent alors secrets et triomphants

des objets égarés

des souvenirs éperdus retrouvés tout vivants

les choses de chaque instant

Deux menhirs de pain d’épice

se dressent sur la glace d’un étang

près d’une paire de patins patinés par le temps

Par le temps vital

par le temps spacieux

le bon vieux temps d’hier et de dimanche prochain

le temps de cochon et de chien

le temps des cerises des banques

des horloges des girouettes des baromètres

 

Au loin

de merveilleux petits paysages peints avec une

        véhémente minutie

disent l’exubérante indifférence des eaux des arbres

        et des fruits.

 

 

Paris, octobre 1958

Jacques Prévert / Fatras