« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ville ville enfermée dans ses briques

 


I

 

ville ville enfermée dans ses briques

et ses usines du siècle dix-neuvième

immensité de plate-formes goudronnées

derrière des frontons mornement décorés

 

c’était le ghetto noir au nord du centre

vaste étendue de maisons qui se touchent

et se regardent avec un air de crasse et de misère

et des arrières sans jardin

une immobilité de rancœur et de faim

 

la ville est envahie de ces gens aux figures

enduites de cirage où l’on croit voir

tour à tour la bonté la haine

s’échanger se confondre

à Marketstreet on est au bord

d’où les rats blancs sont encor tolérés

sans cesse on vous appelle

pour vous filer des contrebandes

dans le froid de novembre tout ça est triste et fort

comme les yeux du jeune boutonneux

que j’ai vu circuler sans un radis en poche

regardant partout des bonheurs miteux

de la cacaille en grands monceaux

de la porno qui tait son nom

des gadgets en plastique des revues des chromos

qui vous feraient vomir s’ils n’étaient pas si ridicules

ici commence le ghetto dont on n’a pas idée

la vérité d’un peuple américain

qui pendant tout l’hiver devra souffrir du froid

et manger dieu sait quoi pour apaiser sa faim

William Cliff / Philadelphia (extrait)