« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

VIGILANCE


 

 

 

 

A Paris la tour Saint-Jacques chancelante

Pareille à un tournesol

Du front vient quelquefois heurter la Seine et son ombre

      glisse imperceptiblement parmi les remorqueurs

A ce moment sur la pointe des pieds dans mon sommeil

Je me dirige vers la chambre où je suis étendu

Et j’y mets le feu

Pour que rien ne subsiste de ce consentement qu’on m’a

      arraché

Les meubles font alors place à des animaux de même taille

      qui me regardent fraternellement

Lions dans les crinières desquels achèvent de se consumer les

      chaises

Squales dont le ventre blanc s’incorpore le dernier frisson des

      draps

A l’heure de l’amour et des paupières bleues

Je me vois brûler à mon tour je vois cette cachette solennelle

      de riens

Qui fut mon corps

Fouillée par les becs patients des ibis du feu

Lorsque tout est fini j’entre invisible dans l’arche

Sans prendre garde aux passants de la vie qui font sonner très

      loin leurs pas traînants

Je vois les arêtes du soleil

A travers l’aubépine de la pluie

J’entends se déchirer le linge humain comme une grande

      feuille

Sous l’ongle de l’absence et de la présence qui sont de

      connivence

Tous les métiers se fanent et il ne reste d’eux qu’une dentelle

      parfumée

Une coquille de dentelle qui a la forme parfaite d’un sein

Je ne touche plus que le cœur des choses je tiens le fil

 

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On me dit que là-bas les plages sont noires

De la lave allée à la mer

Et se déroulent au pied d’un immense pic fumant de neige

Sous un second soleil de serins sauvages

Quel est donc ce pays lointain

Qui semble tirer toute sa lumière de ta vie

Il tremble bien réel à la pointe de tes cils

Doux à ta carnation comme un linge immatériel

Frais sorti de la malle entrouverte des âges

Derrière toi

Lançant ses derniers feux sombres entre tes jambes

Le sol du paradis perdu

Glace de ténèbres miroir d’amour

Et plus bas vers tes bras qui s’ouvrent

A la preuve par le printemps

D’APRÈS

De l’inexistence du mal

Tout le pommier en fleur de la mer

André Breton