POÈME D’UNE MATINÉE AU VILLAGE
Par domcorrieras, le dimanche 24 septembre 2017 - Poèmes & chansons - lien permanent
Accoudé au comptoir — Café du Centre — obstinément silencieux
(du temps qu’on prend notre petit-déjeuner)
longtemps questionné « … qu’est-ce que tu vas fabriquer de ta journée ? »
Petit Nez le regard vague vers son verre muet
son copain continuant de charrier sa barbe clairsemée
presque blanche déjà — nouveauté qui pousse depuis plusieurs mois —
feint la menace s’adressant à la Patronne : « Sylvette t’as bien un ciseau ?
et puis après on le pèsera son bouc : doit pas valoir grand-chose ! »
du temps que ça rentre — ça sort — petitement ce matin de lundi
du temps que ça baise fillette de vert plant
shoote et reshoote petits ballons gros rouge
que hublot rond sur porte privé une heure d’horloge tourne
qu’un ancêtre « j’suis né à Mayun ! » nous narre
abondamment comment il apprit à tresser les paniers
« j’avais douze ans… » — et les incitations diverses à lui prodiguer par son pater
sont occasions de rires et plaisanteries…
… c’est alors qu’enfin Petit Nez répond :
« je caresserai mon chien en regardant la télé »
puis il se tait irrévocablement
✽
… ensuite on fera la queue à la petite poste
puisqu’il n’y a qu’une employée au guichet aujourd’hui
« ça vous embête pas si je ne vous donne que 500 F?… »
… à la Coopé Agricole — elle existe encore — j’achète une barquette 3 kilos
(« cent plants environ » m’assure le négociant) de pommes de terre Rosentval
— qualité rose chair ferme petite — qu’il est encore temps de semer
si la pluie s’arrête que le vent sèche un peu
je les mettrai en terre dans les jours à venir…
la poissonnerie — une de plus ! de moins ! — définitivement bouclée depuis trois mois
au rayon des Trois Mousquetaires aucun poisson !
« pas d’arrivage le lundi ! » — quelle entrave cette force d’inertie cette raideur des habitudes la difficulté à trouver la porte de l’océan voisin
ses ports pêcheurs — Le Croisic La Turballe — si proches !
Alors on se rabattra sur trois côtes de porc breton
sous cellophane la veille emballés (on se la partagera la troisième)
qu’on mangera bien bronzées — « je les aime presque caramélisées… »
s’épanche ma minette préférée — vers 13 heures et menues minutes jouissant du soleil
entre deux averses sur la terrasse ce menu gourmand clôt
ce piteux poème d’une matinée maussade
— ou paisible poème de l’éternité courante ? —
ainsi la vie va un lundi des Rameaux (lune qui monte : planter légumes racines et tubercules) 6 avril 1998 Saint Marcellin fête à souhaiter au pays biéron
Daniel Biga / Cahier de textes / Le poète ne cotise pas à la sécurité sociale - anthologie (1962-2002)